Zoé Karrèlli
Le murmure d’Eurydice
Ne crois pas…
Viens avec moi. N’insiste pas
nous avons tellement cru au corps
entendu ta musique passionnée,
mais ne crois pas au plaisir.
La douleur est trop puissante
et l’efface
le corps
souffre quand il meurt
et qu’il lui échoit de perdre
sa gloire entière. Laisse-le.
Le laisser, n’est-ce pas mieux ?
Ne m’entraîne pas, ne me ramène pas
aux forces de la vie.
La mort qui m’emportera
fut si cruelle.
Viens avec moi.
Tu goûteras au néant, à sa magie.
Ton corps parfait touchera toute l’épaisseur
de l’inexistence.
Tu connaitras l’oubli comme la pierre,
tu éteindras dans l’immobilité
ta soif de vie.
Quand on peut aimer la vie à ce point,
à ce point croire en elle,
rien ne console sinon
l’anéantissement infini qu’on nous offre
(Orphée se retournant terrifié ne trouva pas Eurydice… Mais on se demande, pourquoi une telle mort ?)
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945-2000, choix et traduction de Michel Volkovitch, nrf / Gallimard, 2000, p. 89.
Imagination du moi (extrait)
Parfois les pas du temps
s’arrêtent et le silence alors
s’installe, tantôt terrible
odieux obscur et plein d’angoisse
épais inéluctable
tantôt plus clair, apparaissant
pétri de lumière
pur, enfin, limpide
et léger, si léger
que tu ne peux rester
là non plus
dans toute cette lumière
soudaine intense
que tu donnes et reçois
qui te brûle
au moment de calme
où le temps s’arrête
et le silence attend lumineux
et le temps attend lui aussi
que tu t’effaces.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945-2000, choix et traduction de Michel Volkovitch, nrf / Gallimard, 2000, p. 83.
Biographie
Zoé Karrèlli (1901-1998), de son vrai nom Chrysoula Arguriadou, est une poète, dramaturge et traductrice grecque. Née en 1901, dans une grande famille de Salonique, elle est une pionnière de la mouvance féministe, fondatrice du mouvement « Greek Salonica Influence » et l'auteure de recueils de poésie, de pièces de théâtre, d'essais littéraires (dont sur Paul Claudel et Samuel Beckett) et de traductions (dont T.S. Eliot). Les poèmes de Zoé Karèlli composent un journal intime, qui témoigne d’une déchirure entre sensualité et mysticisme. « J'ai vécu avec force et sentiment, avec des émotions passionnées », dit-elle dans Le dernier chant de Sapho. Sources : volkovitch.com, Encyclopedia of Modern Greek Literature.