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Récital poésie et piano

Géographie de l'exil

Deux grandes heures pour un voyage entre poésie et piano

Récital Présences à Frontenay, poésie et piano, festival, Franche-Comté
I - Paysage d'exil



Poèmes de Hölderlin, Zajewski, Schéhadé, De Luca, Adonis, Sachs, Juarroz

Musique de Chopin, Bartok, Fallahzadeh, finaliste prix Nunc

II - Interférences

Poèmes de Darwich, Sédar Senghor, Avel, Blandiana, Brecht, Seghers, Hugo, Gelman, Pizarnik, Fondane, Hikmet

Musique de Godowsky, Repechïte, Smetana

III - Chairs meurtries

Poèmes d'Ovide, Zimmermann, Baudry, Vallejo, Jeff, Lamennais, El Quassim, Beckett, Neruda, Kadaré

Musique de Stordeur, Milhaud, Korngold

IV - Terre natale

Poèmes de Wang Wei, Machado, Depestre, Tarkovski, Cernuda, Ororozco, Monatle, Anders, Rozewicz, Saint John-Perse

Musique de Mendelssohn, Prokofiev, finaliste prix Nunc, Rachmaninov

Liminaire

Terre promise

In memoriam Franz Kafka

 

–  […] J’aperçus une maison aux volets rouges fermés.

–  Aux volets rouges fermés ? reprit l’officier. Bien, bien. 

Fin de l’interrogatoire, qui concluait une journée d’épreuves rendue obligatoire à tous les habitants de la colonie ; épreuve plutôt simple puisqu'elle consistait à rester six heures devant un paysage, sans rien faire, sans écran, sans personne ; et en fin de la journée, être interrogé par un officier sur ce qu'on avait vu.

– Vous êtes donc un exilé, conclut l'officier en souriant. Nous allons devoir vous expulser. »

– Je ne savais pas que j'étais en exil », lui répondit l’habitant, souriant à son tour. Un silence s’établi. « Quelle va être la suite de la procédure ? Pensez-vous qu’il y en a pour longtemps ?

– Vous avez de la chance. L'appareil est disponible. Le commandant vous prendra en charge en début de soirée. 

 

L'appareil était maintenant devant leurs yeux après une bonne heure de marche. Il avait fait chaud. Les menottes avaient irrité l'épiderme du prisonnier, mais enfin ils étaient arrivés. L'appareil était celui-là qui avait servi des années durant, puis qu’on avait jeté aux oubliettes quand les autorités avaient changé. Mais, face aux problèmes que posait maintenant l'immortalité – cette apathie douloureuse qui régnait dans la colonie – l'arrière arrière-petit-fils du commandant avait eu l'idée de réactiver l’appareil, et, en revoyant les réglages pour en faire un appareil à expulser en toute certitude.

– Je ne vais pas vous faire l'affront de vous présenter l'appareil, objet de tous les rêves de notre colonie. Bien sûr, je ne vous cacherai pas que les premiers exilés ont essuyé les inévitables ratés des débuts. Mais enfin, nous avons connu aucun échec : tous ont pu mourir.

–  Mourir ? » Les yeux de l’habitant brillaient.

–  Oui nous pouvons nous vanter d’un taux de réussite de cent pour cent, jusqu'à ce jour ». 

Il portait, coincé entre son cou et le col de sa veste les deux mouchoirs emblématiques de son ancêtre. 

–  Je ne vous cacherai pas que vous allez souffrir, hélas moins longtemps qu’autrefois. L'appareil n'y est pour rien, c'est notre résistance qui s'est affaiblie. Les plus solides tiennent une heure à peine. » Après une légère hésitation. « Toutefois, si vous n'y autorisez, je tenterai volontiers un nouveau réglage qui pourrait rallonger la durée de votre agonie à trois heures.

–  Trois heures ? hocha rêveusement l’habitant. La durée même du Christ sur la croix, je n'ose y croire…

–  Bien sûr, je ne vous garantis rien, ajouta aussitôt le commandant. Pour mettre le maximum de chances de notre côté, je vais vous décrire avec précision le déroulé de l'épreuve ; votre capacité de résistance s’en trouvera accru.

Le début, j'imagine, vous est familier : le robot, ici présent, découpera d'un coup vos vêtements en deux parts égales, puis il vous soulèvera et vous transportera jusqu’au le lit du supplice ; un lit recouvert d'une terre sélectionnée grâce à notre algorithme pour reproduire votre terre natale. Au début, bien sûr, vous la humerez, mais elle ne vous dira rien – peut-être même ressentirez-vous un léger écœurement.

Ensuite, vous entendrez la herse s'agiter au-dessus de vous, avec les grincements d'origine (j’en suis très fier). Ils réveilleront en vous quelque chose qu'on pourrait appeler votre âme d'enfant et, en même temps, l'espérance d’un dénouement (« enfin la mort », vous direz-vous). Les aiguilles, après être descendues avec lenteur, viendront effleurer votre épiderme et commenceront leur ouvrage scribe. 

Les premiers mouvements susciteront à peine un chatouillement, puis, les aiguilles pénétreront douloureusement dans la chair et de plus en plus profondément. Elles y traceront le nom de votre terre natale dans toutes les langues connues. Après chaque action, vous chercherez à lire pour découvrir l’énigme, mais aussitôt le nom lu, cette langue vous redeviendra étrangère ; son vocabulaire, sa syntaxe et tous les souvenirs que vous y avez accumulés auront été complétement effacés. En contrepartie, si vous me permettez cette vision juridique de l’opération, les effluves de la terre se feront de plus en plus fortes et vous serez de plus en plus proche de la reconnaître. Moment poignant et délicieux, qui mêlent souffrance et proximité.

La dernière langue que la herse emploiera sera votre langue natale, enfin retrouvée. Imaginez un peu : le nom de votre terre natale dans votre langue natale ! Naturellement, vous voudrez la dire, et vous la direz dans votre dernier souffle ; et tandis que tout ce que vous avez perdu et que vous allez perdre à nouveau vous envahit et ravive votre conscience, vous illumine, vous éprouverez le mystère de votre sang abreuvant votre terre natale.  Ainsi, non seulement vous serez en train de mourir, mais lors votre dernier souffle, vous retrouvez comme neuve l’espérance que portait votre premier cri. »

Hélas – si l'on en croit le rapport de l'officier de service – les choses ne se sont pas déroulées comme décrit. Au milieu du supplice, une bande armée a débarqué et, grâce à un armement sophistiqué, ont tué la totalité de la colonie (sauf l'officier bien caché), mettant fin à leur croyance en l’immortalité. Quand l’officier sortit de sa cachette et voulut rendre hommage au commandement et à son dernier supplicié, il se pencha sur le cadavre et eut la surprise de pouvoir lire le nom du pays natal : Terre promise. Depuis, l'officier erre d’une colonie à l’autre, en quête de la maison aux volets rouges fermés.

Pierrick de Chermont

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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