Zbigniew Herbert
Przepaść Pana Cogito /
L’abîme de Monsieur Cogito
W domu zawsze bezpiecznie
ale zaraz za progiem
gdy rankiem Pan Cogito
wychodzi na spacer
napotyka - przepaść
nie jest to przepaść Pascala
nie jest to przepaść Dostojewskiego
jest to przepaść
na miarę Pana Cogito
dni bezdenne
dni budzące grozę
idzie za nimi jak cień
przystaje przed piekarnią
w parku przez ramię Pana Cogito
czyta z nim gazetę
uciążliwa jak egzema
przywiązana jak pies
za płytka żeby pochłonęła
głowę ręce i nogi
kiedyś być może
przepaść wyrośnie
przepaść dojrzeje
i będzie poważna
żeby tylko wiedzieć
jaką pije wodę
jakim karmić ją ziarnem
teraz
Pan Cogito
mógłby zebrać
parę garści piasku
zasypać ją
ale nie czyni tego
więc kiedy
wraca do domu
zostawia przepaść
za progiem
przykrywając starannie
kawałkiem starej materii
L’abîme de Monsieur Cogito
Chez soi bien sûr on est plus en sûreté
mais aussitôt franchi le seuil
lorsque Monsieur Cogito
sort pour sa promenade matinale
il rencontre — l’abîme
oh ce n’est pas l’abîme de Pascal
pas plus que celui de Dostoïevski
c’est un abîme à la mesure
de Monsieur Cogito
son trait particulier
c’est qu’il ne provoque pas l’insomnie
pas plus qu’il n’éveille l’épouvante
il le suit simplement comme une ombre
s’arrête devant le boulanger
et dans le parc par-dessus l’épaule de Monsieur Cogito
il lit avec lui le journal
pénible comme de l’eczéma
attaché comme un chien
trop peu profond pour engloutir
la tête les bras et les jambes
un jour peut-être
cet abîme grandira
il mûrira avec l’âge
et deviendra sérieux
Si seulement on pouvait savoir
de quelle eau il boit
et de quel grain il se nourrit
Pour l’instant
il suffirait sans doute
à Monsieur Cogito
de quelques poignées de sable
pour le combler
mais il ne le fait pas
et quand
il rentre chez lui
il laisse l’abîme
à la porte
en le recouvrant soigneusement
d’un bout de vieux tissus
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Œuvres poétiques complètes, tome 2, Monsieur Cogito, édition bilingue, trad. de Brigitte Gautier, Paris, Le Bruit du temps, 2012.

Biographie
Zbigniew Herbert (1924-1998) est un poète polonais. Il est né à Lvov en 1924, dans une famille de la classe moyenne. Après une enfance heureuse, il fait l’expérience douloureuse de la mort de son jeune frère, de l’invasion soviétique de 1939, puis allemande de 1941, avec leur cortège de déportations et d’exécutions (son oncle fait partie des officiers morts à Katyn). Après-guerre, sa famille s’installe à Gdansk, l’est de la Pologne étant annexé par l’URSS. Après des études de droit, de commerce et de philosophie, et différents petits métiers, Herbert fait ses débuts littéraires en 1956 avec le recueil Corde de lumière. il publiera neufs volumes de poésie, trois volumes d’essais et des pièces radiophoniques. Grâce au président de l'Union des écrivains, Herbert obtient un passeport pour la France, en 1958, et y séjourne deux ans. Mis à l’index en 1975, il continue de publier sur les presses clandestines et sur celles de l’émigration. Il rentre à Varsovie en 1981. Après la chute du communisme en Pologne, en 1989, il reste un témoin engagé des évolutions de son pays. Source : le bruitdutemps.fr.