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Yòrgos Chronas

La scène de l'arrivée à Gênes

D'accord, qu'on reprenne pour la cent-unième fois

la scène de mon arrivée à Gênes

— dit la star au metteur en scène, tandis qu'il déposait

son œil droit parmi les trésors, les monnaies de l'appartement maternel

Mais j'aimerais quand je descendrai du bateau

dans mon maillot une pièce vert, tenant un bouquet rouge

de coquelicots, que la fanfare de la Maison de correction

joue le Club des cœurs solitaires du sergent Pepper

Mais j'aimerais quand je descendrai la passerelle du bateau

qu'en silence passe devant moi la brigade violemment dissoute

des érotiques anonymes de l'hôtel de l'Étoile du soir (4e classe)

l'Union des Dames Américaines d'Istanbul, mon premier

amant dans son fauteuil roulant, ma mère vêtue

comme sur la photo de ses noces

Mais j'aimerais quand je poserai le pied à terre

que trois éboueurs de Gênes, le patron de l'hôtel, des journalistes

de l'agence de fausses nouvelles Saint Sam me reçoivent

tout sourires, m'allumant une cigarette — King size ou 100 mm

qu'ils m'embrassent

Mais j'aimerais quand je verrai Mario, lui dire

« Comme tu es beau, Mario, aujourd'hui »

Puis mourir comme une héroïne de Cesare Pavese qui oubliant

son Véronal pour dormir n'a jamais plus dormi

mais s'est couchée sur le lit de l'hôtel un soir

croyant être à Turin au moment

de ce défilé de mode chez Momina derrière le billard et l'ancienne gare

distribuant sourires, politesses et la fièvre de la libido

Mais j'aimerais mieux que Mario n'ouvre pas la bouche

et file en calèche vers le nord

de la ville au coucher du soleil

à l'heure où tous les juke-boxes du port jouent

le même vieux rebètiko oublié.

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Les nourrissons antiques (1984), de Yòrgos Chronas, traduction de Michel Volkovitch.

L’ange de la fin du jour

Entrant par la droite du port

un peu au-dessous de la pendule des moulins à blé

au-dessus de l'église des catholiques

et derrière la maison des Arméniens

arrive tous les soirs

l'Ange de la Fin du jour.

Il caresse les visages des oubliés, des novices

passe le portail de la Bourse

et s'arrête aux décombres du rivage.

La nuit tombe sur des forêts

ou des villes se dressant humides dans le jour

La pénicilline blanchit sur le sol, dit-il, tandis

que nul ne le comprend.

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Magasin de nouveautés (1997), in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, p. 275.

Biographie

Yòrgos Chronas (né en 1948) est un poète grec. Né au Pirée, il est aujourd’hui éditeur, libraire, directeur de revue littéraire et l’auteur d’une vingtaine de recueils. Son univers explore la société des déshérités et des réprouvés dont il décrit le quotidien, qu'il a lui-même vécu et qu'il vit encore. On oscille entre une franchise brutale, et un glissement oblique et rêveur ; entre une page de faits divers et la tragédie, sa poésie s’attache à ces rameurs à contre-courant, à moitié fous et à moitié saints. Les poèmes de Chronas ont été comparés à de « petits bateaux brillants sur un océan obscur ». Sources : volkovitch.com, Goodreads.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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