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Vladimir Holan

Lettre (extrait)

La bonne vieille ronfle, avec

l’exacerbation de l’alcool bu à mon verre,

ainsi va la lune à travers mes étangs, ainsi

ne va pas le soleil à travers les déserts –

sur le bord supérieur de la fumée divisée en trois

monte échevelé le cri des joueurs du hasard

et le bout de leurs mains ne se cache même pas,

comme est silencieuse, par exemple, la branche alourdie d’un écureuil,

cette branche ne fait que balancer délicieusement,

surtout quand il va bientôt pleuvoir,

il n’y a que nous qui sous n’importe quel prétexte

recherchions le sang et le lait en primeur,

si sûrs d’eux-mêmes sur les marais de la disparition soudaine,

les feux follets dansent au-dessus de l’âme de l’oubli

entre la ressemblance et le nom,

devant le cadre sans la toile,

mais rien à portée de l’oreille, pas un mot qui nous soit soufflé,

pas même le calme du cristal sur le cours moyen de l’apparence ;

nous sommes tout, sauf le centre,

la mémoire piétine, c’est Lomonossov

qui s’enfuit de Marbourg à cause de ses dettes,

ai-je vraiment jamais aimé qui que ce soit,

ou bien ne fut-ce qu’un mirage,

l’éblouissement du coup de foudre ?...

 

Je ne me souviendrai pas, quoiqu’il arrive,

toutes mes résolutions premières ont échoué,

aie pitié de moi, ô Jésus-Christ !

Comment s’appelait ce mercenaire qui T’a transpercé le flanc ?

Je ne me souviendrai pas quoiqu’il arrive,

mais par Dieu vivant je demande d’atteindre le salut,

car je suis un grand pêcheur, Tu le sais !

Longinus danse la rumba avec Hélène

comme s’il raturait de ses pieds les recettes de Faust,

Leur âme pue à partir de l’estomac,

après quoi ils s’avancent ensemble vers le zinc

et tout en mangeant ils se passent la cuiller et le dentier,

avant d’ouvrir les conserves du sommeil sans os,

ils bavardent et dans leurs paroles creuses pénètre le langage du vice.

 

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : D’autres astres, plus loin, épars, poètes européens du XXe siècle choisis par Philippe Jaccottet, Anthologie. La Dogana, Genève, 2005, p. 239.

Biographie

Vladimir Holan (1905-1980) est un poète tchèque. Né à Prague, sa mère lui donne le nom de Vladimir par sympathie pour la Russie. Après des débuts marqués par un certain esthétisme, il oriente sa poésie vers une expression abstraite et pessimiste. Il s’engage au parti communiste pendant les années de guerre et rompt quelques années plus tard. Un culte s'installe autour du poète et se diffuse sous forme lectures secrètes que font ses lecteurs comme dans une catacombe. Le printemps de Prague de 1968 en fait un poète national, la voix de la résistance aux oppressions. Ses œuvres complètes commencent à être publiées et lues largement. Trop tard pour un poète, qui ayant subi « le nazisme noir et le communisme rouge », choisit de vivre à l’écart. Pour lui, il n'y a pas de connaissance, nous ne vivons que l'illusion. Hors du monde, un peu comme Pierre Reverdy, il interroge le ciel pour lui faire rendre gorge de notre absence de foi. Peu à peu, il s'enfonce dans un silence, plus nocturne que la nuit. Ses derniers écrits sont ceux d'un démuni de l'âme et des mots. Source : espritsnomades.fr.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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