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Victor Segalen

Sur un hôte douteux

L'Empereur dit : Qu'il revienne, et je le recevrai, et je l'accueillerai comme un hôte.

Comme un hôte petit, qu'on gratifie d'une petite audience, -- pour la coutume, -- et d'un repas et d'un habit et d'une perruque afin d'orner sa tête rase.

Comme un hôte douteux que l'on surveille ; que l'on reconduit bien vite là d'où il vient, pour qu'il ne soudoie personne.

 

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Stèle, Poésie/Gallimard, Paris 1973.

Stèle provisoire

Ce n'est point dans ta peau de pierre, insensible, que ceci aimerait à pénétrer ; ce n'est point vers l'aube fade, informe et crépusculaire, que ceci, laissé libre, voudrait s'orienter ;

Ce n'est pas pour un lecteur littéraire, même en faveur d'un calligraphe, que ceci a tant de plaisir à être dit :

Mais pour Elle.

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Stèle, Poésie/Gallimard, Paris 1973.

Libation Mongole

C'est ici que nous l'avons pris vivant. Comme il se battait bien nous lui offrîmes du service : il préféra servir son Prince dans la mort.

Nous avons coupé ses jarrets : il agitait les bras pour témoigner son zèle. Nous avons coupé ses bras : il hurlait de dévouement pour Lui.

Nous avons fendu sa bouche d'une oreille à l'autre : il a fait signe, des yeux, qu'il restait toujours fidèle.

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Ne crevons pas ses yeux comme au lâche ; mais tranchant sa tête avec respect, versons le koumys des braves, et cette libation :

Quand tu renaîtras, Tch'en Houo-chang fais-nous l'honneur de renaître chez nous.

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Stèle, Poésie/Gallimard, Paris 1973.

Éloge et pouvoir de l'absence

Je ne prétends point être là, ni survenir à l'improviste, ni paraître en habits et chair, ni gouverner par le poids visible de ma personne,

Ni répondre aux censeurs, de ma voix ; aux rebelles, d'un œil implacable ; aux ministres fautifs, d'un geste qui suspendrait les têtes à mes ongles.

Je règne par l'étonnant pouvoir de l'absence. Mes deux cent soixante-dix palais tramés entre eux de galeries opaques s'emplissent seulement de mes traces alternées.

Et des musiques jouent en l'honneur de mon ombre ; des officiers saluent mon siège vide ; mes femmes apprécient mieux l'honneur des nuits où je ne daigne pas.

Égal aux Génies qu'on ne peut récuser puisqu'invisibles, — nulle arme ni poison ne saura venir où m'atteindre.

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Stèle, Poésie/Gallimard, Paris 1973.

Stèle des pleurs

Si tu es homme, ne lis pas plus loin : la douleur que je porte est si vaste et grave que ton cœur en étoufferait.

Si tu es Chenn, détourne-toi plus vite encore : l'horreur que je signale te rendrait lourd comme ma pierre.

Si tu es femme, hardiment lis-moi pour éclater de rire, et oublie à jamais de t'arrêter de rire,

Mais si tu sers comme eunuque au Palais, affronte-moi sans danger ni rancune, et garde le secret que je dis.

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Stèle, Poésie/Gallimard, Paris 1973.

Biographie

Victor Segalen (1878-1919) est un médecin, romancier, poète, ethnographe, sinologue et archéologue français. Né à Brest, après des études de médecine à Bordeaux, il est affecté en Polynésie française. Lors d'une escale aux îles Marquises, il a l'occasion d'acheter les derniers croquis de Paul Gauguin, décédé trois mois avant son arrivée. Il rapporte en métropole un roman, les Immémoriaux (1907), ainsi qu'un journal et des essais sur Gauguin et Rimbaud, qui ne seront publiés qu'en 1978. En 1908, il part en Chine où il soigne les victimes d'une épidémie de peste en Mandchourie. Il s’installe en Chine avec sa femme et son fils, où il rencontre le sinologue belge Charles Michel qui lui inspire le personnage de René Leys. En 1912, il publie à Pékin Stèles, son recueil le plus connu. En 1914, il entreprend une mission archéologique consacrée aux monuments funéraires de la dynastie des Han, mais quand il souhaite poursuivre et se rendre en Birmanie, il reçoit sa lettre de mobilisation. Après la guerre, étant parti se promener en forêt Huelgoat, son corps inanimé est découvert deux jours plus tard par sa femme. Une blessure au talon et un garrot suggèrent que Segalen s’est entaillé le pied sur une tige taillée en biseau et que, tombé en syncope, il est mort d’une hémorragie. Sources : wikipedia, republique-des-lettres.com.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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