Tìtos Patrìkios
Les sept dormants
À la lueur de la lune qui recouvrait l'île
comme si s'était rouvert le volcan disparu
nos mains se changeaient en pieuvres
cherchant des corps proches et hors d'atteinte
avant de se perdre dans leurs creux obscurs.
Doigts blancs, tentacules blancs, jointures blanches
les mains tentaient de retenir
dans leurs paumes humides
la forme de ton corps qui changeait toujours
et toi-même changeais, tu n'étais plus toi
tu étais les sept femmes que j'ai aimées
et moi j'étais les sept jeunes gens dormant
sept fois martyrs et sept fois morts.
Dès que j'étends les mains pour te toucher
je trouve la mer, les pierres, la lune
qui existent au-delà de nous et nous ignorent.
Comme tout le monde ignore que des années plus tôt
on m'a enterré dans la cour
de cette église déserte, oubliée.
Décembre 1968
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Arrêt facultatif (1975), in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, p. 133.
Biographie
Tìtos Patrìkios (né en 1928) est un poète grec. À seize ans, il combat l'occupant allemand ; à vingt ans, pendant la Guerre civile, il est déporté deux années durant ; à quarante ans, fuyant la dictature militaire, il s'exile à Paris, où il avait fait ses études. Ces épreuves lui ont fait perdre bien des illusions, sans le faire basculer dans le cynisme et l'indifférence. La force de sa poésie tient à sa limpidité : pas d'images fracassantes, mais un ton proche de la conversation, emprunt d'humour. Outre une dizaine de recueils, Patrìkios a également publié des proses, des essais et traduit Neruda, Maïakovski, Stendhal, Saint-John Perse. Source : volkovitch.com.