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Ted Hughes

Daffodils / Jonquilles

 

Remember how we picked the daffodils?

Nobody else remembers, but I remember.

Your daughter came with her armfuls, eager and happy,

Helping the harvest. She has forgotten.

She cannot even remember you. And we sold them.

It sounds like sacrilege, but we sold them.

Were we so poor? Old Stoneman, the grocer,

Boss-eyed, his blood-pressure purpling to beetroot

(It was his last chance,

He would die in the same great freeze as you) ,

He persuaded us. Every Spring

He always bought them, sevenpence a dozen,

‘A custom of the house’.

 

Besides, we still weren’t sure we wanted to own

Anything. Mainly we were hungry

To convert everything to profit.

Still nomads-still strangers

To our whole possession. The daffodils

Were incidental gilding of the deeds,

Treasure trove. They simply came,

And they kept on coming.

As if not from the sod but falling from heaven.

Our lives were still a raid on our own good luck.

We knew we’d live forever. We had not learned

What a fleeting glance of the everlasting

Daffodils are. Never identified

The nuptial flight of the rarest epherma-

Our own days!

We thought they were a windfall.

Never guessed they were a last blessing.

So we sold them. We worked at selling them

As if employed on somebody else’s

Flower-farm. You bent at it

In the rain of that April-your last April.

We bent there together, among the soft shrieks

Of their jostled stems, the wet shocks shaken

Of their girlish dance-frocks-

Fresh-opened dragonflies, wet and flimsy,

Opened too early.

 

Tu te souviens lorsque nous ramassions les jonquilles ?

Personne d’autre ne se souvient, mais moi, je me souviens.

Ta fille venait, bras grands ouverts, impatiente et heureuse,

Aider à la cueillette. Elle a oublié.

Elle n’arrive pas même à se souvenir de toi.

Et nous les vendions.

Cela paraît sacrilège, mais nous les vendions.

Étions-nous si pauvres ? Le vieux Stoneman, l’épicier –

Il louchait, et sa tension le rendait rouge comme une tomate

(C’était la dernière fois pour lui,

Il allait mourir le même hiver glacé que toi) –

Nous avait convaincus. À chaque printemps,

Il les achetait, sept pence la douzaine,

« Une tradition dans la maison. »

 

Et puis, nous étions pas sûr encore de vouloir posséder

Quoi que ce soit. Avides

De tirer un bénéfice de toute chose.

Nomades encore – étrangers

À tout ce que nous possédions. Les jonquilles

Ressemblaient aux dorures sur un acte notarié,

Un trésor. Elles étaient apparues,

Et continuaient d’apparaître, encore et encore,

Comme si, au lieu de sortir de terre, elles tombaient du ciel.

Notre vie était, encore, un raid sur notre bonne fortune.

Nous savions que nous allions vivre éternellement.

 

Nous n’avions toujours pas appris que les jonquilles ne sont pas

L’immortalité, mais son reflet seulement. Ni reconnu

Le vol nuptial des éphémères les plus rares :

Nos propres jours !

            Nous nous disions qu’elles étaient une aubaine.

Sans deviner un seul instant qu’elles étaient

Une dernière bénédiction.

Alors nous les vendions. Comme si nous étions

Les simples employés d’une exploitation. Tu te penchais au-dessus d’elles

Sous la pluie de cet avril-là – ton dernier avril.

De leur tige malmenée, les soubresauts trempés

de leur robe de petites filles prêtes à aller danser –

Libellules tout juste ouvertes, humides et fragiles,

Trop tôt ouvertes.

We piled their frailty lights on a carpenter’s bench,

Distributed leaves among the dozens-

Buckling blade-leaves, limber, groping for air, zinc-silvered-

Propped their raw butts in bucket water,

Their oval, meaty butts,

And sold them, seven pence a bunch-

 

Wind-wounds, spasms from the dark earth,

With their odourless metals,

A flamy purification of the deep grave’s stony cold

As if ice had a breath-

 

We sold them, to wither.

The crop thickened faster than we could thin it.

Finally, we were overwhelmed

And we lost our wedding-present scissors.

 

Every March since they have lifted again

Out of the same bulbs, the same

Baby-cries from the thaw,

Ballerinas too early for music, shiverers

In the draughty wings of the year.

On that same groundswell of memory, fluttering

They return to forget you stooping there

Behind the rainy curtains of a dark April,

Snipping their stems.

 

But somewhere your scissors remember. Wherever they are.

Here somewhere, blades wide open,

April by April

Sinking deeper

Through the sod-an anchor, a cross of rust.

Nous les empilions, fragiles, sur un banc de bois,

répartissions les feuilles parmi les douzaines –

Déformant les toutes jeunes encore, si souples,

Avides d’air, zinc argenté –

Soutenant les tiges nues dans un seau d’eau,

Leur bouton ovale, charnu,

Puis nous les vendions, sept pence le bouquet.

 

Blessées par le vent, spasmes de la terre noire,

Avec leur métal sans odeur,

Purification par le feu du froid de la profonde tombe de pierre

Comme si la glace respirait –

Nous les vendions, jusqu’à la dernière.

La récolte grossissait plus vite que nous pouvions l’écouler.

Nous avons fini par être submergés,

Et nous avons perdus nos ciseaux, un cadeau de mariage.

 

Chaque mois de mars, depuis, elles ont éclos à nouveau

Des mêmes bulbes, avec les mêmes

Plaintes de bébé après le dégel,

Ballerines trop précoces pour la musique, frissonnant,

Agitées pars tous les vents de l’année.

Sur la même lame de fond de la mémoire, palpitant,

Elles repartent pour oublier comme tu te penchais sur elles

Derrière le rideau de pluie d’un sombre mois d’avril,

Coupant à petits coup leur tige.

 

Mais quelque part tes ciseaux se souviennent. Où qu’ils soient.

Quelque part ici, lames grandes ouvertes,

s’enfonçant plus profond

Avril après avril

Dans la terre – une ancre, une croix de rouille.

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Birthday letters, Ted Hughes, traduit de l’anglais par Sylvie Doizelet, Gallimard 2002, p.145.

Biographie

Ted Hughes (1930-1998) est un poète et écrivain anglais, reconnu comme l'un des plus grands poètes de sa génération. Né dans un village du comté anglais du West Yorkshire, cadet d'une fratrie de trois enfants, il passe ses premières années en milieu rural, au milieu des fermes, puis déménage avec sa famille dans un petit bourg du Yorkshire, où ses parents s'établissent comme buralistes et marchands de journaux. À la fin de son adolescence, Ted Hughes part étudier la littérature anglaise, l'anthropologie et l'archéologie à l'Université de Cambridge, où il rencontre la poétesse Sylvia Plath. Ils se marient en 1956 et se séparent en 1962, après avoir eu deux enfants. La responsabilité de Ted Hughes quant au suicide de son épouse en 1963 a longtemps été l'objet de spéculations de la part des critiques. Six ans après la mort de Sylvia, Assia Wevill, la maîtresse de Ted Hughes, se suicide elle aussi, emportant dans la mort leur fille commune. Peu de temps avant sa mort, il reçoit des mains de la Reine Élisabeth II du Royaume-Uni l'Ordre du Mérite. Dans son recueil, Birthday Letters, dernier ouvrage publié avant sa mort, Ted Hughes rompt le silence sur Sylvia Plath, revenant sous la forme de lettres-poèmes sur les aspects de leur vie commune. Sources : poeziabo, wikipedia.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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