Ryôichi Wagô
Jets de poème (extrait)
Nous sommes arrivés au point de non-retour. Je veux écrire comme un asura.
16 mars 2011 – 04:30
La nuit est silencieuse. il pleut des radiations
16 mars 2011 – 04:30
À l’instant, pendant que j’écrivais, la terre a de nouveau grondé. Tremblé. Je me suis accroupi en retenant mon souffle et j’ai fixé les secousses droit dans les yeux. Manœuvres vitales. Je suis seul, sous la pluie de radiations.
16 mars 2011 – 22:46
Le gymnase du lycée, que j’aimais tant, le voilà transformé en morgue pour les cadavres non identifiés. Le lycée d’à-côté aussi.
16 mars 2011 – 22:56
J’ai fait évacuer ma femme et mon fils d’abord. Mon fils m’a téléphoné. Faut-il absolument que je prenne une décision,
16 mars 2011 – 23:11
Pour quelle raison la vie surgit- elle pour sombrer ensuite dans la mort ? De quel droit, la naissance, l’anéantissement ? Pourquoi sommes-nous soumis aux lois de la destruction puis de la renaissance ?
16 mars 2011 – 23:16
J’ai fait la queue trois heures au supermarché. Dans la mêlée générale, j’ai attrapé des victuailles. Une vieille dame qui n’a pas la force de servir s’accroupit sur place. Le diabète lui donne des vertiges, me dit-elle. J’attrape pour elle des boulettes de riz aux algues, du riz blanc, du yaourt.
16 mars 2011 – 23:20
SIXIÈME JOUR APRÈS LE SÉISME. JE VOUDRAIS BOIRE un bon café. Il n’y en a pas. et aucune perspective d’en avoir.
16 mars 2011 – 23:36
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Jets de poèmes, dans le vif de Fukushima, Ryôchi Wagô, traduction du japonais par Corinne Atkan, Po&psy, a parte, Eirès, 2016.
Jets de poème (extrait)
Il n’est pas de nuit sans aube
17 mars 2011 – 0:24
Ô terre, dis-moi : si les répliques sont les soubresauts d’un authentique séisme, toutes ces secousses qui agitent la Terre, sont-elles le résultat d’une quelconque décantation ?
7 mars 2011 – 22:20
Onawaga. C’était un si joli port. On y mangeait du sanma délicieux. Il y avait une stèle à la mémoire de Kôtarô Takamura, portant cette belle formule concise : « l’homme qui pêche goûte une joie intense qui le ramène aux temps primitifs. »
17 mars 2011 – 22:36
La nuit est silencieuse. Très silencieuse. La centrale crache des radiations.
17 mars 2011 – 22:47
Demain aurait dû avoir lieu la cérémonie de fin d’études à l’école primaire. Tout ça n’existe plus.
17 mars 2011 – 22:50
Attendu jusqu’à midi, mais aucun quotidien n’a été livré. J’ai appelé le marchand de journaux, il m’a dit qu’il ne pouvait pas les livrer parce sa réserve d’essence est vide. Je comprends. Je ne suis pas en colère. Lui ai juste demandé de les stocker pour moi. Où vont tous ces journaux qui ne sont pas Les journaux ne sont plus livrés.
17 mars 2011 – 23:19
D’abord la terre gronde. Puis elle tremble. Effervescence d’un instant. Écoutez ce silence plein de turbulence. Attention, une réplique.
17 mars 2011 – 23:33
Est-ce que tu regardes toujours l’aube se lever ? Ou bien est-ce que parfois tu dors trop tard, ou encore tu ne la vois pas arriver derrière les rideaux fermés… L’aube est tienne, elle n’appartient qu’à toi. Encore une journée qui s’achève.
17 mars 2011 – 23:59
Où es-tu ? Moi je suis seul enfermé dans cette pièce, assis devant les mots. Avec le cœur enfermé dans ta poitrine.
18 mars 2011 – 14:11
J’aimais l’été à Miamisôma. Je pensais que les promesses échangées dans le plein été ne seraient jamais rompues. Savez-vous comme ils sont fiers, les chevaux sauvages de Haramachi lors de la fête annuelle ?
18 mars 2011 – 14:14
J’aimais les champs de Miamisôma. J’aimas le froid paisible des hivers sans neige. J’aimais entendre les gens de Haramachi parler de la tour de transmission sans fil dont ils étaient si fiers.
18 mars 2011 – 14:15
Le hennissement des chevaux ne changera jamais. Les cerisiers de Yonomori ne changeront jamais. Les vagues auront beau venir mugir tristement sur les décombres, elles n’éroderont pas le passé.
18 mars 2011 – 14:26
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Jets de poèmes, dans le vif de Fukushima, Ryôchi Wagô, traduction du japonais par Corinne Atkan, Po&psy, a parte, Eirès, 2016.
Jets de poème (extrait)
Cependant, l’eau de la baignoire reste rouge. Je l’ai laissée couler du matin jusqu’au soir, mais elle est rouge, toujours rouge.
19 mars 2011 – 04:19
Tout en soupirant devant la réalité de cette eau rouge stagnante, je vide la baignoire. Je la nettoie. Je fais couler l’eau. Je remplis la baignoire. Je pleure. Je vide. Je nettoie. Je remplis.
19 mars 2011 – 04:22
Voilà une semaine que je porte les mêmes vêtements sales. Et à la vue de l’eau de la baignoire, toujours rouge…
19 mars 2011 – 04:28
J’ai revêtu un autre moi.
19 mars 2011 – 04:32
Je porte ce moi depuis sept jours. Cela vous est-il déjà arrivé ?
19 mars 2011 – 04:33
Bientôt le matin. À quoi ressemblera-t-il ? Au printemps. Au pépiement des oiseaux. À la douceur du courant limpide. À l’éclat des montagnes. Au vent qui caresse la joue. Qui fait trembler les fleurs en boutons. Au chevaux sauvage dans la prairie lointaine. Au bruit des pas de ma mère préparant le petit-déjeuner. Au ciel bleu entre les nuages. Pour toi seul. Pour moi seul. Un même matin se lève. Il n’est pas de nuit sans aube.
19 mars 2011 – 05:08
Alors écoute. Toi qui signifies tant pour moi. L’univers, le monde, la société, ton amour, même si tu as peur, mieux vaut vivre tout cela jusqu’au flamboiement.
19 mars 2011 – 22:15
Si tu as des rêves, réalise-les.
19 mars 2011 – 22:17
En ouvrant la porte pour sortir, je me suis trouvé face au visage sévère de la radioactivité. Comme la nuit est belle, à Fukushima.
19 mars 2011 – 23:31
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Jets de poèmes, dans le vif de Fukushima, Ryôchi Wagô, traduction du japonais par Corinne Atkan, Po&psy, a parte, Eirès, 2016.
Biographie
Ryôichi Wagô (né en 1968) est un poète japonais. Né à Fukushima, il y vit toujours après la catastrophe de 2011. Parallèlement à ses activités de poète, il enseigne la langue japonaise dans un lycée. Son premier recueil de poésie, After (1999), lui vaut une reconnaissance immédiate, avec l'obtention du prestigieux prix Nakahara Chuya. Ses lectures publiques, performances et émissions de radio font de lui un des représentants les plus actifs de la poésie japonaise contemporaine. Après le 11 mars 2011, il décide de rendre compte de l'ampleur de la catastrophe de Fukushima sous forme de Tweets réguliers. Ces poèmes, à la fois simples au style elliptique et incantatoire ont un retentissement à travers le Japon et au-delà des frontières du pays. Source : editions-eres.com.