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René-Guy Cadou

La saison de Sainte-Reine

Je n’ai pas oublié cette maison d’école

Où je naquis en février dix neuf cent vingt

Les vieux murs à la chaux ni l’odeur du pétrole

Dans la classe étouffée par le poids du jardin

Mon père s’y plaisait en costume de chasse

Tous deux nous y avions de tendres rendez-vous

Lorsqu’il me revenait d’un monde de ténèbres

D’une Amérique à trois cents mètres de chez nous

Je l’attendais couché sur les pieds de ma mère

Comme un bon chien un peu fautif d’avoir couru

Du jardin au grenier des pistes de lumière

Et le poil tout fumant d’univers parcourus

La porte à peine ouverte il sortait de ses manches

Des jeux de cartes des sous belges ou des noix

Et je le regardais confiant dans son silence

Pour ma mère tirer de l’amour de ses doigts

Il me parlait souvent de son temps de souffrance

Quand il était sergent-major et qu’il montait

Du côté de Tracy-le-Mont ou de la France

La garde avec une mitrailleuse rouillée

Et je riais et je pensais aux pommes mûres

À la fraîcheur avoisinante du cellier

À ce parfum d’encre violette et de souillure

Qui demeure longtemps dans les sarraus mouillés

Mais ce soir où je suis assis près de ma femme

Dans une maison d’école comme autrefois

Je ne sais rien que toi Je t’aime comme on aime

Sa vie dans la chaleur d’un regard d’avant soi.

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : René-Guy Cadou, par Michel Manoll, Poètes d’aujourd’hui, Seghers, Paris, 1952, p. 141.

Pourquoi n’allez-vous pas à Paris

- Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?

- Mais l’odeur des lys ! Mais l’odeur des lys !

 

- Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes

- Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !

 

Je suis malade du vert des feuilles et des chevaux

Des servantes bousculées dans les remises du château

 

- Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes

- Que le diable tente ! que le diable tente !

 

Mais moi seul dans la grande nuit mouillée

L’odeur des lys et la campagne agenouillée

 

Cette amère montée du sol qui m’environne

Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne

 

- Tu périras d’oubli et dévoré d’orgueil

- Oui mais l’odeur des lys la liberté des feuilles !

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : René-Guy Cadou, par Michel Manoll, Poètes d’aujourd’hui, Seghers, Paris, 1952, p. 154.

Biographie

René-Guy Cadou (1920-1951) est un poète français. Né en Grande Brière, il est fils d’instituteurs et grandit dans une ambiance de préaux d’écoles, de scènes de chasse et de vie paysanne, qui seront une source majeure de son inspiration poétique. Le 20 octobre 1941, trois camions bâchés roulent vers la Sablière de Châteaubriant, transportant 27 otages qui vont être fusillés. En réponse, Cadou écrit le poème Les fusillés de Chateaubriant, emblématique du ton si personnel de sa poésie, chantant la liberté, l’amour et la fraternité des hommes. Plus tard, il retrouve un groupe de jeunes poètes dans l’arrière boutique de la pharmacie de Jean Bouhier. Ils formeront ce que l’histoire littéraire appelera l’école de Rochefort. Nommé instituteur à Louisfert en octobre 1945, Cadou s'y installe et mène une vie de maître d'école en sabots et pèlerine. En 1946, il épouse Hélène Laurent qu’il célébrera dans son recueil Hélène ou le règne végétal. Après une longue maladie, il meurt d’un cancer en 1951. « En détachant la poésie de toute formule d’école, il l’a ramenée à sa vocation naturelle, qui est celle du chant et de l’effusion. » Michel Manoll. Sources : espritsnomades.com, reseau-canope.fr, Wikipedia.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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