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Pierre Oster

Vingt-huitième poème, la Terre 

La terre est un savoir. Que les eaux, les rochers répandent !

La nuit même et la plaine et la mer fondent un savoir proche des murs.

Au loin, dans une solitude aux couleurs de la nudité des choses,

Le soleil, soutien du ciel, gardien de l’ampleur des champs,

Descend dans les mares et dans l’herbe. Autant de mares, autant de portes.

Gisements de chaume, amas de paille jaune et chemins détruits,

La campagne se tait. J’en conjure la paix. Le silence

Signifie-t-il que les talus, si hauts, face au dieu du Tout,

De l’orbe sacré des planètes au labyrinthe des plantes,

Bornent le puits vers lequel nous allions ? tentons maintenant le combat

Des bois ! Vénérons les toits. Grâce au sol, et l’humus nous comble,

À quelque manne humide et je l’honore en sa splendeur,

Je puis magnifier le matin ! M’accorder dans l’ombre à l’étendue

Dès que les heures recommencent ! Ah ! déployer, par amour,

Le passage du jour ! Le soleil à l’horizon nous exalte,

L’instant que la nuit couronne est pur. Le soleil me dicte et

Me dérobe une réponse. Alors la pluie, ailée, élémentaire

Et légère, orne ses traces, les assemble…. Un clair fanal

Le long d’un quai. La mer grossit dans les gouttes et les épuise,

Le vent les gonfle. Imagination, recherche ou création

D’un empire. À plaisir ! à loisir. De brindille en brindille,

Me voici serviteur de l’abîme ! Et garant du poème épars

Des sens. À la faveur d’un songe, au pied d’une grange,

Participer au sommeil de la charpente. Un creuset, et le ciel doit pourvoir

À notre besoin d’infini. La nuit sous les poutres compose

Avec les vagues ! Avec les vague, avec les nuages. Avec,

Les sillons… Sillons étroits, glacés, ténébreux… Avec la faille,

délicate, des ruisseaux. Je la convoite. Une ligne d’écueils.

Un môle, et j’y accoste. Écueils vêtus d’une peau de mousse,

Prisonniers d’un peu d’écume… Et la campagne a bougé.

Le vent ! Il n’oublie pas que sa religion nous enchaîne.

Nous l’invoquerons, nous serons sa voix. Nous célébrons

La mer, modèle des jardins ! Fuse en l’honneur de la lymphe

Un feu qui défend l’unité des fleurs ! Unité limpide où

La règle est de croître…. Au-dessus de tranquilles fosses,

La très chaste et très secourable et redoutable Vénus

Nous accorde aux montagnes. Et des lueurs à ses flancs se devinent.

Je m’en détourne et j’en appelle au soleil. Infléchir

Sa plénitude. À dessein se laisser ravir à sa solitude…

La tâche a un prix : l’embrasement, secret, des bûchers de l’éther,

Des châteaux de l’air ! Secret ? Non pas. Puisque la lumière

Peint le bord de bassins monumentaux dans un port abrupt.

Nul ne commande au maître que je veux. Je le sers. Je l’imite

En foulant de récents labours ! En prononçant, surgeons,

Drageons, bourgeons, les premiers mots d’un éloge des feuilles.

Quel baume enrichit la blessure des bois ! La lune, au nord-est,

Occupe et déserte un beau refuge. Et le brouillard consume,

Des toits de tôle des hangars aux piliers du temple, ah ! des hangars

Jusqu’à la grange, un absolu de transparence ou de présence.

Interrogeons la terre ! Apprenons le récit du voyageur,

D’un guide obscur ! Je proclame, avant l’envol des cloches,

Conduis plus d’un triomphe et m’apprête à laisser le butin

Que l’automne alentour disperse ! Et de souverains pays s’éveillent

Aux sources de la sève…. Aux confins de la plaine et du jour.

Immobile ! Immobile et mobile ! Immobile, immobile et mobile,

Le soleil dévaste un paradis de roseaux. Roseaux dont

La cime nous frôle et que cerne une intime clarté. la mer recule

Sous la demeure du jusant. Le vent, juge des dieux, des morts,

hisse une voile, la détisse. Appareillages ou naufrage, Chiffre sûr et message fatal. Captifs, captifs, fugitifs,

Nous choisissons, nous acceptons d’explorer la poussière,

D ‘épouser l’infaillible fortune ! Un coup de vent me console déjà

De ne chanter que pas à pas ! Dans mes vers la lumière est une promesse

Qui frémit, nous précède sans fin… Le matin la protège de biais

Dans les flaques. Et les saisons sondent les vitres de la cabine

De ce tracteur. Gloire des miroirs. Rien, que de ténu,

Noue nous destine à la contemplation de la charrue emblématique.

Un miracle à midi me hante. Ah ! souvenir d’un petit printemps de neige en avril,

Trop froid pour que nous reposions près des blocs de paille !

L’hiver s’amenuise et je l’apprivoise. (À l’origine, un océan,

Une semence de géant.) L’abîme, à l’extrémité des bâches,

Ronge les meules. Et le vent se cabre. Un cheval, trois

Chevaux, trois… Chevaux, votre grandeur a nom douceur. Du pouce,

Au chanfrein, je vous caresse et vous délivre ! En vain.

La paix ne nous permet pas de vaincre. Adorateurs des météores,

D’un ordre à peine ou d’une lisière ou d’un seuil, il est en nous

De nous pencher sur la margelle universelle. Ah ! des stries

De l’azur dans l’acier, de la courbe des collines à la pointe des socs,

Des rayons du sable à l’éclat que les arbres reçoivent,

Nuit et jour se reflètent l’un l’autre. Et je compare au feu

La forme des maisons, m’exerce à comprendre une leçon de force

Et d’accomplissement. Mon privilège est de percevoir une leçon de peur.

Les quais, les cours, les chemins détruits. La tempête arraisonne

De nombreux vaisseaux, puis de nombreux villages ! Elle a

Des jetées, des balises et de sombres amers. Combien de flammes

Ceignent son front, le baignent ! Et combien justifient ma soif

D’abondance… Ou de pauvreté… De parfaites dépouilles

Ensanglantent mes mains. J’en prendrai, en reprendrai,

En prendrai possession ! Je montre, échafaude, escalade

Un rempart. J’avance attentif aux tombeaux. Contre un tumulus,

Un tronc, une souche énorme aux racines souples. Audace

Des dieux que la nature enserre ! Ils symbolisent mon salut,

Mon sort leur ressemble. Un second message a couru dans l’herbe

Par le continent de la prairie communale ! Inconstant,

Constant, je le médite et ne dis mot. Je le répète, anticipe

U murmure. Un mur me le renvoie ! Et je m’inféode ici

À la matière… Être docile…. Avoir au cœur les arcanes,

Que nuancent les nuages ! Exercer le droit de rouvrir

Les grottes magiques du ciel. La nuit lentement domine

À l’intérieur de nos yeux, je l’intègre au jour ! Je tiens

Que le soleil, tantôt sous les parures (ou les déguisements) de l’écorce,

Tantôt les habits au sel, traverse les rochers ! Rochers, récifs.

On croirait d’une illumination (parmi les nations de la houle) !

Fougue et folie, un souffle. Et ses ruses, ses assauts

Nous innocentent ! Une folie et singulière et familière,

Une fougue à l’épreuve du vent…. Désirons la réalité

Des arbres ! Écoutons les témoins qu’engendrent les âges

Sous la terre, au fond de la mer. L’esprit des roseaux

Surgit du monument des eaux. Je noue et dénoue et renoue

Un lien éternel ! Je m’abandonne à la gravitation des grains de pollen

Dès avant le printemps. Tandis que je pose les lèvres

Sur le corps d’une branche basse…. À midi, fondre à la nuit

Les deux crépuscules… Et la lune en deçà des tourbillons du fleuve

Dissipe un trésor, le dispute au soleil ! Ah ! que les bois

Fassent alliance avec les mois ! Indistinctes, indivises,

Une armée et son aile marchante. Ah ! de profonds vallons

Continuent le double cortège ! Et les collines nous pressent

D’habiter notre amour des haies vives !

Utinam Varietur

 

Fragment initial

1er mars 2000

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Paysage du Tout, de Pierre Oster, Poésie Gallimard, 2000, p. 205-214.

Biographie

Pierre Oster (né en 1933) est un poète et éditeur français. Il fait ses études au collège Sainte-Croix de Neuilly, au lycée Buffon, en khâgne au lycée Louis-le-Grand puis à l’Institut d’études politiques de Paris. Il publie Premier poème en 1954, grâce à Pierre-Jean Jouve, suivi de Quatre Quatrains gnomiques dans La Nouvelle Revue française. Son premier recueil, Le Champ de mai, paraît en 1955. En 1958, il reçoit le prix Max-Jacob pour Solitude de la lumière. L’année suivante, après la résiliation de son sursis, qui provoque son départ aux armées, en Algérie, où il restera jusqu’en 1959. À son arrivée à Blida, il trouve un mot de son ami Édouard Glissant : « Déserte ! » En 1961, il travaille auprès de Claude Tchou, éditeur chinois de livres libertins. C'est chez ce dernier qu'il édite la première édition des œuvres complètes de Jean Paulhan. Grâce à Denis Roche, il entre au comité de lecture des éditions du Seuil, où il siègera jusqu'en 1995. Une certaine « consécration » lui vient avec la publication de Paysage du Tout dans la collection Poésie chez Gallimard. Source : Wikipedia.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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