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Kiki Dimoula

Mégot à la bouche des cheminées (extrait)

Je ne dois garder qu’une ou deux lettres certifiant

– mon départ doit gagner sa croûte –

que je sais pouponner l’inefficacité

accompagner les oublis vieillards sur les bancs

les places et les points-limite, où précisément

viennent les cars-tunnels

déverser les enfants des écoles.

Que je travaillais volontiers aux côtés de l’aquarelle.

 

Ma préférence évidemment sera d’embarquer

comme soutier du souvenir

et devenir le temps très lent des bateaux du fleuve

quand nous contemplions leurs parlotes

sous des ponts mordus, rongés

que le brouillard jetait sur les rives.

 

Je suis prête ? Je serre bien ma frousse, que ma décision

ne déborde pas de mots elle aussi.

Je me décroche de mon courage.

Le clou peut bien rester – petite miette

nourrissant ma trace.

J’ai tout pris ? Rendu le mètre-ruban ?

Toutes les choses que j’aimais, m’ont-elles rendu

            ce tant d’amour ?

Celles que je n’ai pas comprises

dans quel pardon que je ne donne pas tiendront-elles ?

 

Je dois jeter un coup d’œil récolteur

d’indispensables impardonnables par moi égarés.

Enfin ! Ce que j’ai oublié de vivre

je l’offre à la négligence d’un autre.

Je ne peux tout soulever d’une main.

L’autre tu l’as gardée comme souvenir.

De l’instant où tu l’as éternellement lâchée.

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Je te salue Jamais (1988), in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, pp. 164-166.

Scènes de ménage impérissables (extrait)

Déplace-toi un peu. À force d’oubli de soi

le verre s’est déformé. Combien de temps veillerai-je

debout pour m’interposer au moindre

bourdonnement de poussière – je crains qu’elle te morde.

Qu’est-ce qui te manque ? Je t’apporte tout –

du petit déjeuner au dîner mensonge.

Tu n’y touches même pas. Ta main est accrochée

comme une sainte offrande à la poignée

d’argent de la canne qui te soutient.

(Ce que tu demandais en échange de l’offrande

n’existe pas, m’a-t-on prévenue, à ta taille.

Tu portes une lourde peine).

 

Tu ne réponds pas. Tu t’es laissé totalement

absorber par ce point que nuit et jour tu fixes

comme si ton absence t’avait ensorcelé.

Tu te reposes évidemment sur la raison très respectable

que tu es mort. Prétexte.

Si tu voulais tu pourrais vivre en parallèle.

De même que peuvent marcher les aveugles,

ou peindre avec le pied les mains coupées.

Tu n’es pourtant pas le seul.

Il nous arrive à tous quelque chose de mort tous les jours.

Notre terreur, tu vois comme elle résiste

à ce mouvement alternatif.

Toute folle qu’elle est, elle peint avec son regard.

 

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : L’adolescence de l’oubli (1994), in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, pp. 166-167.

Biographie

Kiki Dimoula (né en 1931) est une poète et essayiste grecque. Née à Athènes, elle entre en 1949 à la Banque de Grèce où elle travaille pendant vingt-cinq ans. En 1952, elle publie son premier livre, Poèmes. Deux ans plus tard, elle épouse le poète Àthos Dimoulas, qui meurt en 1986. Ses poèmes sont tirés du quotidien tel le mouvement des vagues sur le rivage ou un bibelot sur une table basse. Une voix parle, entourée d'absents qu'elle interpelle. Une mélancolie noire rôde, qui se mêle d’un humour plus ou moins diffus. Elle est membre de l’Académie d'Athènes depuis 2002 et reçoit en 2009 le Prix européen de littérature pour l'ensemble de son œuvre. Deux parutions en français ont accompagné l'événement : Mon dernier corps en édition bilingue aux éditions Arfuyen, et Le peu du monde suivi de Je te salue jamais en Poésie/Gallimard. Sources : volkovitch.com, Wikipédia.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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