top of page

Jules Laforgue

Complainte de l’oubli

Mesdames et Messieurs,
Vous dont la mère est morte,
C’est le bon fossoyeux
Qui gratte à votre porte.

Les morts
C’est sous terre ;
Ça n’en sort
Guère.

Vous fumez dans vos bocks,
Vous soldez quelque idylle,
Là-bas chante le coq,
Pauvres morts hors des villes !

Grand-papa se penchait,
Là, le doigt sur la tempe,
Sœur faisait du crochet,
Mère montait la lampe.

Les morts
C’est discret,
Ça dort
Trop au frais.

Vous avez bien dîné,
Comment va cette affaire ?
Ah ! les petits mort-nés
Ne se dorlotent guère !

Notez, d’un trait égal,
Au livre de la caisse,
Entre deux frais de bal :
Entretien tombe et messe.

C’est gai,
Cette vie ;
Hein, ma mie,
Ô gué ?

Mesdames et Messieurs,

Vous dont la sœur est morte,

Ouvrez au fossoyeux

Qui claque à votre porte ;

Si vous n’avez pitié,

Il viendra (sans rancune)

Vous tirer par les pieds,

Une nuit de grand’ lune !

Importun

Vent qui rage !

Les défunts ?

Ça voyage….

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Les complaintes, de Jules Laforgue, Garnier Flammarion / Poésie française, 1998.

Biographie

Jules Laforgue (1860-1887) est un poète français. Né dans une famille ayant émigré en Uruguay, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé avec son frère dans la ville de Tarbes, d’où est originaire son père, pour y poursuivre ses études. En 1876, il retrouve sa famille rentrée d’Uruguay et s’installe à Paris. L’année suivante, sa mère meurt en couches. Après des études écourtées, il mène une vie relativement difficile et fréquente le groupe littéraire des Hydropathes, qui réunit ceux qu’on appellera plus tard les symbolistes. Sur la recommandation de Gustave Kahn et de Paul Bourget, il devient secrétaire du critique et collectionneur d’art Charles Ephrussi, qui possède une collection de tableaux impressionnistes. En 1881, il part pour Berlin, où il devient lecteur de l’Impératrice d’Allemagne, la grand-mère du futur Guillaume II. En 1885, il publie Les Complaintes et l'année suivante L’Imitation de Notre-Dame la Lune à compte d'auteur. À Berlin, il rencontre une jeune anglaise, Leah Lee, qu’il épouse à Londres. Mais son état de santé se dégrade rapidement : atteint de phtisie, il meurt l'année suivante. Sa femme, atteinte du même mal, succombera un an après. Source : Wikipedia.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

  • Facebook Social Icon
  • YouTube Social  Icon
bottom of page