Jorge Luis Borges
Cosmogonía / Cosmogonie
Ni tiniebla ni caos. La tiniebla
Requiere ojos que ven, como el sonido
Y el silencio requieren el oído,
Y el espejo, la forma que lo puebla.
Ni el espacio ni el tiempo. Ni siquiera
Una divinidad que premedita
El silencio anterior a la primera
Noche del tiempo, que será infinita.
El gran río de Heráclito el Oscuro
Su irrevocable curso no ha emprendido,
Que del pasado fluye hacia el futuro,
Que del olvido fluye hacia el olvido.
Algo que ya padece. Algo que implora.
Después la historia universal. Ahora.
Ni ténèbres ni chaos. Les ténèbres
veulent des yeux qui voient, comme le bruit
Et le silence réclament l’ouïe,
Et le miroir la forme qu’il intègre.
Pas plus l’espace que le temps. Ni même
Une divinité qui prémédite
Le silence existant avant l’ancienne
Nuit du temps, la première, sans limites.
Le grand fleuve d’Héraclite l’Obscur,
Fatal, n’a toujours pas creusé son lit
Où du passé il court vers le futur,
Et de l’oubli court aussi vers l’oubli.
Ce qui souffre. Ce qui crie, implorant.
Puis, l’histoire universelle. Á présent.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : La rosa profunda [La rose profonde] (1975), Jorge L. Borges, Obra poética 1923-1977, Buenos Aires, Emecé Ed., 1984, p. 416 ; in La Proximité de la mer : une anthologie de 99 poèmes, J.L. Borges édité, préfacé et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », 2010.
Soy
Soy el que sabe que no es menos vano
Que el vano observador que en el espejo
De silencio y cristal sigue el reflejo
O el cuerpo (da lo mismo) del hermano.
Soy, tácitos amigos, el que sabe
Que no hay otra venganza que el olvido
Ni otro perdón. Un dios ha concedido
Al odio humano esta curiosa llave.
Soy el que pese a tan ilustres modos
De errar, no ha descifrado el laberinto
Singular y plural, arduo y distinto,
Del tiempo que es de uno y es de todos.
Soy el que es nadie, el que no fue una espada
En la guerra. Soy eco, olvido, nada.
Je suis
Je suis celui qui se sait non moins vain
Que l’observateur vain qui, au miroir,
Silencieux cristal, s’applique à voir
Le reflet ou le corps de son prochain.
Je sais, muets amis, je sais trop bien
Qu’il n’est d’autre vengeance que l’oubli,
D’autre pardon. Un dieu un jour offrit
Cette clef rare à notre haine d’humains.
Hors d’illustres erreurs, je suis celui
Qui n’a pu déchiffrer le labyrinthe,
L’unité innombrable, ardue, distincte,
Du temps, qui est à moi, à tous. Je suis
Personne, pas même un glaive sanglant.
Je suis l’écho, l’oubli et le néant.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : La rosa profunda [La rose profonde] (1975), Jorge L. Borges, Obra poética 1923-1977, Buenos Aires, Emecé Ed., 1984, p. 416 ; in La Proximité de la mer : une anthologie de 99 poèmes, J.L. Borges édité, préfacé et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », 2010.
Edipo y el enigma
Cuadrúpedo en la aurora, alto en el día
Y con tres pies errando por el vano
Ámbito de la tarde, así veía
La eterna esfinge a su inconstante hermano,
El hombre, y con la tarde un hombre vino
Que descifró aterrado en el espejo
De la monstruosa imagen, el reflejo
De su declinación y su destino.
Somos Edipo y de un eterno modo
La larga y triple bestia somos, todo
Lo que seremos y lo que hemos sido.
Nos aniquilaría ver la ingente
Forma de nuestro ser; piadosamente
Dios nos depara sucesión y olvido.
Œdipe et son énigme
Quadrupède à l’aurore, à midi profilant
Sur le ciel sa droiture, et dans le jour qui baisse
A trois pattes clochant débile : la déesse
Durable ainsi voyait son frère vacillant,
L’homme. Mais vers le soir voici qu’un homme arrive,
Et tombe au piège qu’il résout : dans le miroir
De cette monstrueuse image il a pu voir,
Bouleversé, notre destin et sa dérive.
Nous sommes tous Œdipe ; il a tout su de tous,
Il a vu cette longue et triple bête : nous.
Je suis ce que je fus et ce que je vais être
Tout ensemble. Mais je serais anéanti
Si je laissais ma loi difforme m’apparaître.
Clément, Dieu m’a donné le progrès et l’oubli.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Extrait de El otro, el mismo [L’Autre, le Même] (1964), J. L. Borges, Obra poética 1923-1977, Buenos Aires, Emecé Ed., 1984, p. 254 ; in Œuvre poétique 1925-1965, Jorge Luis Borges, traduction d’Ibarra, Paris, nrf Poésie / Gallimard, 1970, p. 190.
Biographie
I. Source : wikipedia.