Jean Follain
Vie
Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi-siècle après
il n’est qu’un soldat mort
et c’était là cet homme
que l’on vit apparaître
et puis poser par terre
tout un lourd sac de pommes
dont deux ou trois roulèrent
bruit parmi ceux d’un monde
où l’oiseau chantait
sur la pierre du seuil.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Exister, (Territoire), de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 131.
« Tout fait événement »
Tout fait événement
pour qui sait frémir
la goutte qui tombe
portant les reflets
de granges et d’étables
le son d’une épingle
tombant sur un marbre
le lait qui bout
à la fin des jours
les moments qui traînent
en de pâles séjours
quand s’endort la femme.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : D’après tout, de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1967.
L’aube
Un toit de maison puis l’étoile
au-dessus pâlissante
arrêtaient les regards d’un homme
qui se sentaient repris par le fin jeu des causes
plus bas les enseignes
dévoilaient leurs mots d’or
le bois, le fer, la pierre
imposaient leur présence
une fenêtre grande ouverte
montrait le mur d’ocre et l’armoire
et la main qui posait une cuiller de fer
sur la faïence d’une assiette
à l’ancien ébrèchement.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Exister, de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969, p. 51.
Le sacrifice gaulois
Un gaulois dans un paysage d’été
avec posés près d’une fourmilière
son casque décoré d’ailes
ainsi que son bouclier rond
comme sont rondes tant de choses en ce monde
descendait parfois vivant dans la tombe
creusée au milieu des épis
sous le regard bleu
des druides sérieux.
Il flottait alors une odeur de corps nu
de métal et de blé
qu’emportait dans sa course le ciel.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Exister, de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969, p. 44.
L’effraie
On dit que l’effraie
boit l’huile aux lampes du sanctuaire
dans les églises du village ;
elle entre par le vitrail brisé
dans ces heures de nuit
quand les bons et les violents s’endorment
quand l’orgueil et l’amour s’épuisent
quand le feuillage rêve.
La bête réchauffe son sang
avec l’huile éclairant et vierge.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Exister, Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969, p.30.
Biographie
Jean Follain (1903-1971) est un poète français. Né à Canisy dans la Manche, il y passe son enfance et fait sa scolarité au collège de Saint-Lô, où son père est professeur de sciences naturelles. En 1921, il entreprend des études de droit à la Faculté de Caen puis se fixe en 1923 à Paris, où il effectue un stage chez un avoué et découvre les milieux littéraires. En 1927 il s'inscrit au Barreau de Paris, et participe aux réunions du groupe « Sagesse » où il fait la connaissance d'André Salmon, Pierre Reverdy, Pierre Mac Orlan et Max Jacob. Il publie en 1933 son premier recueil, Cinq poèmes, et se lie à la même époque avec Eugène Guillevic et Pierre Albert-Birot. Il se marie en 1934 avec la fille du peintre Maurice Denis. Malgré sa mauvaise vue, il est mobilisé en 1940 comme canonnier dans la DCA de Châteaudun. En 1951, il abandonne sa carrière d'avocat, et tout continuant de résider à Paris, il prend un poste de magistrat au Tribunal de grande instance à Charleville où il finira sa carrière en 1961. Il reçoit en 1970 le Grand Prix de poésie de l'Académie française. Un an plus tard, alors qu'il rentre d'un banquet, il meurt renversé par une voiture au débouché du tunnel sur le quai des Tuileries. Il reste comme le poète de la patience et de la vie rurale, « des frémissements allusifs, de quelques mots mis là comme fleurs des champs. » Gil Pressnitzer. Sources : Babelio.com, espritnomade.com.