Hannah Arendt
„Goethes Farbenlehre“
« La théorie des couleurs de Goethe »
Gelb ist der Tag.
Blau ist die Nacht.
Grün liegt die Welt.
Licht und Finsternis vermählen
sich im Dunklen wie im Hellen.
Farbe lässt das All erscheinen,
Farben scheiden Ding von Ding.
Wenn der Regen und die Sonne,
ihrer Wolkenzwiste müde,
noch die Farbenhochzeit einen,
glänzet Dunkles so wie Helles –
Bogenförmig strahlt vom Himmel
La théorie des couleurs de Goethe
Jaune est le jour.
Bleue est la nuit.
Verte l’étendue du monde.
Lumière et ténèbres se marient
dans l’obscurité comme dans la clarté.
La couleur fait apparaître l’univers,
les couleurs séparent les choses des choses
Quand la pluie et le soleil
las de la querelle des nuées
unissent encore la sécheresse
et l’humidité dans les noces des couleurs,
l’obscurité luit autant que la clarté –
Sur ciel une arche rayonne.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Heureux celui qui n’a pas de patrie, poème de pensée, Hannah Arendt, traduction de l’allemand par François Mathieu, édition Payot, Paris 2015, p. 152.

„Des Glückes Wunde“
« La blessure du cœur »
Des Glückes Wunde
Heißt Stigma, nicht Narbe.
Hiervon gibt Kunde
nur Dichters Wort.
Gedichtete Sage
ist Stätte, nicht Hort.
La blessure du bonheur
veut dire stigmate, et non cicatrice.
Seule en témoigne
la parole du poète.
La fable écrite par lui
est demeure et non refuge.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Heureux celui qui n’a pas de patrie, poème de pensée, Hannah Arendt, traduction de l’allemand par François Mathieu, édition Payot, Paris 2015, p. 185.
Biographie
Hannah Arendt (1906-1975) est une philosophe allemande naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme et la modernité. Fille unique d'une famille aisée de juifs allemands, elle fait ses études à l'université de Marbourg. Elle est l'élève de Heidegger, avec qui elle noue une courte liaison, ainsi qu'une vaste correspondance qui durera jusqu'à la mort de celui-ci. Elle ne se désignait pas elle-même comme « philosophe », mais plutôt professeur de théorie politique. Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. Ses livres les plus célèbres sont Les Origines du totalitarisme (1951), Condition de l'homme moderne (1958) et La Crise de la culture (1961). Son livre Eichmann à Jérusalem, publié à la suite du procès d'Adolf Eichmann en 1961, a suscité des controverses. Écrits entre 1924 et 1961, ses poèmes sont écrits en allemand alors qu'elle avait tourné le dos à sa langue maternelle en 1933. Ils rendent hommage aux amis disparus, comme Walter Benjamin, Hermann Broch et Erich Neumann, et parlent de l'expérience de l'exil et du désir de vivre malgré les années noires : « Demain nous rosserons le Diable à mort. » Sources : Babelio, le Magazine littéraire.