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George Séféris

Mémoire I (extrait)

La neige ici n’en finit pas. Dans l’Attique

on l’accueille comme une pause bienfaisante

ou le recueillement avant les amandiers en fleur

ou le drap du théâtre d’ombres d’après les flonflons.

Les gens sont contents, sortent dans la nature, oublient

la pauvreté. La neige ici

c’est le zéro. A des milles en dessous de zéro

tandis que le sable blanc scintille, des visages

sans joues, sans traits, sans yeux

veillent loin de la terre bénie.

Je n’oserais parler de prières, et pourtant

on sacrifie un agneau parfois :

le sang jaillit, soleil explosant, aveuglant.

 

Instants où tout sen va, où tout bruit

semble le premier ; tombant, dirait-on

dans une main de pierre ou de bois.

Et les hommes s’en vont, d’où naissent les statues.

 

Janvier 1949

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Extrait de « Argo », Cahier d’exercices II, in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, pp. 35-36.

Mémoire I (extrait)

J’avançais ainsi sur le sentier obscur.

Je retournai dans mon jardin, j’enfouis le roseau

Et de nouveau murmurai : un jour à l’aube

La résurrection viendra ;

La rosée de ce matin scintillera, comme les arbres brillent au printemps.

Et à nouveau la mer… Aphrodite une nouvelle fois jaillira de la vague ;

Nous sommes cette graine qui périt. Et je regagnai ma maison vide.

 

Janvier 1949

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Extrait de « Argo », Cahier d’exercices II, in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, pp. 228.

Le roi d’Asiné (extrait)

Du côté du soleil, un grand rivage déployé,

Et la lumière limant ses pierreries sur les hautes murailles.

Pas un être vivant, tous les ramiers partis,

Et le roi d’Asiné, que nous cherchions depuis deux ans,

Inconnu, oublié de tous, même Homère

– Un seul mot dans l’Iliade, et encore incertain –

Jeté là comme un masque d’or funéraire.

Tu l’as touché, te souviens-tu du son qu’il rendit, creux

Dans le jour comme une jarre sèche dans le sol excavé.

Et dans la mer, le même son sous nos rames.

Le roi d’Asiné, un vide sous le masque

Qui ne nous quitte plus, qui ne nous quitte plus, derrière un nom :

« Et Asiné… Et Asiné… »

                                   et ses enfants, statues,

Et dans ses désirs, envols d’oiseaux, et le vent

Dans les béances de ses pensées, et ses navires,

Mouillés dans un port disparu,

Un vide, sous un masque.

 

 

Présences à Frontenay 2016, L'Oubli

Source : Extrait de « Argo », Cahier d’exercices II, in Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000, choix et trad. de Michel Volkovitch, préface de Jacques Lacarrière, Poésie / Gallimard, 2000, pp. 228.

Biographie

George Séféris (1900-1963) est un poète grec. Né à Smyrne, il est le fils aîné d’un père juriste, qui s’intéresse assez à la poésie pour avoir traduit Byron. Enfant, il passe ses vacances à Skala, port de pêche à cinquante kilomètre de Smyrne. En 1918, Séféris s’installe à Paris avec sa famille. Il y entreprend des études de droit et s’intéresse à la littérature. Il rentre en 1926 au Ministère des Affaires Étrangères. Il retourne en 1934 en Grèce où son père est élu recteur de l'université d'Athènes et devient membre de l'Académie. Il collabore à la revue des Lettres Nouvelles et traduit The Waste Land de T. S. Eliot et Je vous écris d'un pays lointain d'Henri Michaux. En 1935, il publie Gymnopédie et Mythologie. En 1941, après s’être marié, il part en exil en Crète, puis en Égypte, poursuit sa carrière diplomatique après la guerre en Afrique du Sud et au Moyen-Orient pour l’achever en 1962 comme ambassadeur à Londres. Un an plus tard, en 1963, il reçoit le Prix Nobel de littérature. Ses funérailles en 1971 sont l’occasion d’une manifestation contre la dictature militaire grecque : la foule chantait son poème Reniement, mis en musique par Mikis Théodorakis. L’œuvre de Seféris tend un pont entre l’homme mythologique et l’homme contemporain. Jouant à la fois des mythes et de la vie populaire, elle réconcilie l’histoire grecque à son lointain passé : « Nous cherchons de redécouvrir la semence originelle pour que le drame ancien puisse se rejouer à nouveau » (Mythistorima, 1935). Son écriture est contrôlée, coulée parfois dans le marbre, parfois dans la parole quotidienne, allusive et simple. Sources : wikipedia, espritsnomades.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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