Derek Walcott
After the Storm /
Après la tempête (extrait)
There’s a fresh light that follows a storm
while the whole sea still havoc; in its bright wake
I saw the veiled face of Maria Concepcion
marrying the ocean, then drifting away
in the widening lace of her bridal train
with white gulls her bridesmaids, till she was gone.
I wanted nothing after that day.
Across my own face, like the face of the sun,
a light rain was falling, with the sea calm.
Fall gently, rain, on the sea’s upturned face
like a girl showering; make these islands fresh
as Shabine once knew them! Let every trace,
every hot road, smell like clothes she just press
and sprinkle with drizzle. I finish dream;
whatever the rain wash and the sun iron:
the white clouds, the sea and sky with one seam,
is clothes enough for my nakedness.
Though my Flight never pass the incoming tide
of this inland sea beyond the loud reefs
of the final Bahamas, I am satisfied
if my hand gave voice to one people’s grief.
Open the map. More islands there, man,
than peas on a tin plate, all different size,
one thousand in the Bahamas alone,
from mountains to low scrub with coral keys,
and from this bowsprit, I bless every town,
the blue smell of smoke in hills behind them,
and the one small road winding down them like twine
to the roofs below; I have only one theme:
The bowsprit, the arrow, the longing, the lunging heart—
the flight to a target whose aim we’ll never know,
vain search for one island that heals with its harbor
and a guiltless horizon, where the almond’s shadow
doesn’t injure the sand. There are so many islands!
As many islands as the stars at night
on that branched tree from which meteors are shaken
like falling fruit around the schooner Flight.
But things must fall, and so it always was,
on one hand Venus, on the other Mars;
fall, and are one, just as this earth is one
island in archipelagoes of stars.
My first friend was the sea. Now, is my last.
I stop talking now. I work, then I read,
cotching under a lantern hooked to the mast.
I try to forget what happiness was,
and when that don’t work, I study the stars.
Sometimes is just me, and the soft-scissored foam
as the deck turn white and the moon open
a cloud like a door, and the light over me
is a road in white moonlight taking me home.
Shabine sang to you from the depths of the sea.
Il y a une lumière neuve qui vient après la tempête,
sur la mer encore en désordre ; dans son sillage clair
J'ai vu Maria Conception, la face voilée,
épouser l'océan, puis dans la dentelle
de sa traîne nuptiale qui allait s'élargissant
s'éloigner avec les blanches mouettes,
ses demoiselles d'honneur, et disparaître.
Après ce jour, je n'ai eu goût à rien.
Sur ma propre face, comme sur la face du soleil,
une pluie légère tombait, la mer était calme.
Tombe doucement, pluie sur le visage levé de la mer
comme d'une fille sous la douche ; rend ces îles fraîches
comme Chabin les connut jadis ! Que chaque ornière,
chaque chemin chaud ait l'odeur du linge qu'elle repasse
et humecte de bruine. Mon rêve est fini ;
ce que la pluie lave et le soleil défroisse :
les blancs nuages, l'océan et le ciel cousus
sont vêtements suffisants à ma nudité.
Mon Flight ne franchirait jamais le flux
de cette mer intérieure au-delà des sonores récifs
des extrêmes Bahamas, je serais content
si ma main a donné voix à la douleur d'un peuple.
Déplie la carte. Il y a plus d'îles en ce lieu
que de pois dans un plat d'étain, de toutes tailles,
un millier, ami, rien que dans les Bahamas,
montagnes ou brousse avec des cayes de corail,
et de ce beaupré, je bénis toutes les villes,
l'odeur bleue de la fumée, derrière, sur les collines,
l'unique route étroite qui en descend, déroulant son fil
vers les toits en bas ; je n'ai qu'un seul thème :
Le beaupré, la flèche, le cœur de désir et d'élan __
le vol vers une cible au but à jamais inconnu,
la vaine quête d'une île dont nous guérit le port
et l'horizon innocent, où de son ombre l'amandier
ne blesse pas le sable. Il y a tant d'îles !
Autant d'îles qu'il y a d'étoiles la nuit
sur l'arbre branchu d'où choient les météores
tels des fruits tombant autour du shooner Flight.
Mais toutes les choses tombent, c'est fatal,
d'un côté Vénus, de l'autre Mars ;
tombent et sont une, tout comme cette terre est une
Île parmi d'autres dans l'archipel d'étoiles.
La mer fut ma première amie. À présent, la dernière.
J'arrête de parler. Je travaille, puis je lis,
accroupi sous un fanal accroché au mât.
J'essaie d'oublier ce que fut le bonheur,
et quand je ne peux pas, je scrute les étoiles.
Parfois je suis seul avec le cisaillement de l'écume
tandis que le pont blanchit, que la lune ouvre
un nuage comme une porte, et la lumière sur ma tête
dans le clair de lune blanc est une route du retour.
Des profondeurs de la mer Chabin a chanté pour vous.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Le royaume du fruit-étoile, Derek Walcott, traduit de l’anglais par Claire Malroux, édition Circé, Paris 1992, p.37.

Biographie
Derek Walcott (né en 1930) est un poète, dramaturge et artiste saint-lucien. Orphelin en bas âge, il est élevé dans une famille métisse réduite à la pauvreté. Anglophone, il se voit séparé de la majorité francophone et catholique des Antilles. Ce « chabin », aux cheveux roux et aux yeux clairs, publie des poèmes dès la fin des années 1940 et poursuit des études en Jamaïque. De 1959 à 1976, il dirige un atelier théâtral à Trinité et y fait jouer certaines de ses pièces. En 1981, il part s'installer aux États-Unis puis devient enseignant à Harvard et à l'Université de Boston. Walcott est l'auteur de plus d'une quinzaine de recueils de poésie et d'une trentaine de pièces de théâtre qui évoquent la vie et la culture caribéenne. L'utilisation qu'il fait du langage poétique mêle un anglais assez soutenu à des parlers populaires locaux comme le créole. On retrouve le besoin de combiner la tradition européenne classique, d'Homère et de Shakespeare, au folklore antillais. Ses écrits, qui allient l'humour, l'ironie, le sérieux et le lyrisme, ont une vocation universelle. En 1990, il atteint une audience internationale avec la publication de sa grande épopée lyrique intitulée Omeros. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1992. Un seul de ses livres, Le Royaume du fruit étoile, a été traduit en français par Claire Malroux. Sources : wikipedia, universalis.fr.