Claude Esteban
XLV
Le visage de mon amour a la saveur des feuilles du platane. Comme elles, il va pâlir. Que serai-je après moi ? J'ai dormi trop longtemps, immobile dans la moiteur des chambres. Seul avec un reflet. Je ne veux pas le voir se perdre sous la mousse,
frissonner contre vous, âmes cruelles de l'hiver. Jeveux m'enchevêtrer, n'être plus qu'un serpent avecsa bouche. Garder intacts les gestes de l'amour.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Le jour à peine écrit, Conjoncture du corps et du jardin, Claude Esteban, éditions Gallimard 2006, p.141.
sans titre
Tout à coup
J’étais en train
de lire un livre quand tout à coup je vis ma vitre
emplir son œil absent d’oiseaux légers et ivres.
Oui, il neigeait.
La folle neige !
Elle tombait tranquille et fraîche
dans le cœur tout troué comme un filet de pêche.
C’était si bon ! et j’étais ivre
de ces flocons heureux de vivre
que ma main, oublieuse, laissa tomber le livre !
En ai-je vu
neiger la neige
dans le cœur nu! Ah! Dieu que n’ai-je
su garder dans mon cœur un peu de cette neige !
Toujours en train de lire un livre ! Toujours en train d’écrire un livre !
Et tout à coup la neige tranquille dans ma vitre !
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Le jour à peine écrit, Conjoncture du corps et du jardin, Claude Esteban, éditions Gallimard 2006.

sans titre
Que tout soit léger, qu'il y ait à peine
un peu de vent
et qu'il nous emporte comme ces pollens
que les arbres perdent
que nos âmes
se dispersent dans l'espace
et qu'un jour quelqu'un sache
que nous avons vécu
en respirant une fleur quelconque.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Sur la dernière lande, Claude Esteban, éditions fourbis 1996, p.79.
Biographie
Claude Esteban (1935-2006) est un poète, traducteur et critique d'art français. Son père est un républicain espagnol réfugié en France. Élève des jésuites, puis de l'École Normale, il se consacre d'abord à l'étude du français et des langues anciennes avant de passer l'agrégation d'espagnol. Il commence à écrire dans les années soixante. Il publie son premier livre, La Saison dévastée en 1968 et sera l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages : des recueils de poésie, des proses et essais pour la plupart consacrés au langage, à la poésie ou à la peinture, ainsi que de nombreuses traductions de poètes classiques ou contemporains de langue espagnole comme Jorge-Luis Borges, Francisco Quevedo, Jorge Guillen, Luis de Gongora, Federico Garcia Lorca, Octavio Paz, etc. Parallèlement, Claude Esteban a enseigné au département de littérature espagnole de la Sorbonne et effectué un remarquable travail d'édition de poésie, dirigeant notamment la revue Argile des éditions Maeght et la collection Poésie des éditions Flammarion. Il a également présidé la Maison des Écrivains de 1998 à 2004. Source : republique-des-lettres.fr.