Chun Sue
我习惯那些少年时记忆里的东西
Souvenirs de jeunesse
我习惯那些少年时记忆里的东西
比如美式口音
比如一些单词
我听到“sweet heart”会心
暖 听到dear就毫无感觉
我习惯那些被嵌进记忆的东西
它们组成了我的回忆
呵,那雾气濛濛的早晨
森林
我和同学们
如蘑菇一样散开
寻找一种特别的草
阳光射在
我前面同学的
裙子上
我已不记得
我们是否
还遇到了
一群高年级
外校的同学
阳光哗啦啦
溪水也哗啦啦
我少年时的记忆
戛然而止
2016/01/18
Je me souviens de ce que je faisais quand j’étais plus jeune
Par exemple, faire semblant de parler anglais
Des mots que j’essaye d’articuler
J’entends « Sweat Heart » et mon cœur se voile
Le mot « Dear » me laisse indifférente
J’ai l’habitude d’une mémoire pleine de ces détails-là
Mes souvenirs
Oh, cette brume de l’aube
La forêtMoi et mes amis
En ordre dispersé, comme des champignons après la pluie
Nous sommes à la recherche d’une herbe spéciale
Qui se tourne vers le soleil
Je me tiens en face d’eux
Et porte une robe
Je ne m’en souviens plus
Était-ce ce jour-là
Que nous avions rencontré par hasard
Un groupe de lycéens
En pleine sortie scolaire
Le soleil hualala (nous écrase)
Le ruisseau hualala (écrasé)
Et mes souvenirs de jeunesse
Se suspendent, disparaissent
18 janvier 2016
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : traduction de Nicolas Idier, 2016.

牙
Dents
诊所里,俄罗斯裔的女牙医
同时也是女老板
戴着一副眼镜
认真地跟我说
要买副新的电动牙刷
让她的助手教我刷牙
否则不给我洗牙
下次,我手持新买的、她推荐的牙刷
乖乖出现
她的那位祖辈来自非洲大草原的
热情洋溢
黑得发亮的
女助手
教我刷完牙
咧嘴一笑
露出整排的牙
我定睛一看
果然洁白无瑕
跟假的似的
2016/1/29
À la clinique, une dentiste d’origine russe
Le directeur était aussi une femme
Elle porte des lunettes
Et sérieusement me dit
Achetez-vous une brosse à dents électrique
Son assistante m’apprend à me brosser les dents
Sinon, je n’aurais jamais les dents blanches
La fois suivante, je reviens avec ma nouvelle brosse à dents
Me voilà bien obéissante
Les ancêtres de cette dentiste-assistante viennent de la brousse
Elle est exubérante
Noire, brillante
L’assistante de la dentiste
Elle m’apprend à me brosser les dents
Je m’efforce de sourire
Pour montrer toutes mes dents
Je regarde de plus près
Une blancheur éclatante
Aussi belles que des fausses
29 janvier 2016
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : traduction de Nicolas Idier, 2016.
仪式感
Suivre la coutume
在我妈来到柏林
照顾我生孩子、坐月子
整整三个月以后
她回北京的第一天
我系上围裙
像她说的
不套头
折叠一下
把带子从腰后
绕一圈
系在前面
我系着围裙做饭
又系着围裙
站着吃完了
刚刚做好的炒米饭
顺手把案板上的菜叶子
倒进了垃圾桶
我发现我是在模仿她
这一发现让我很温暖
2016/1/30
Ma mère est venue à Berlin
Pour me rendre visite après la naissance de mon premier enfant
Trois mois durant à me reposer, comme le veut la tradition
(Cette tradition des trois mois que l’on appelle « yue-zi »)
Trois mois plus tard
Le premier jour après son retour à Pékin
Je mets un tablier
Comme Maman le faisait
Pas un nœud
Un seul pli
Il descend sur mes hanches
En fait le tour
Par le devant
Quand je cuisine, je mets le tablier
Ne jamais oublier le tablier
Je finis de manger, debout
Le riz sauté que je viens de préparer
J’attrape ensuite les épluchures de légume restées sur le plan de travail
Les mets à la poubelle
Suivre la coutume à la manière de ma mère
Décidément, ça me donne chaud
30 janvier 2016
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : traduction de Nicolas Idier, 2016.
我们今晚的晚饭
Le dîner du soir
羽衣甘蓝、西红柿炒鸡蛋、香肠
米饭
新相识的朋友来家里做客
这是我们今晚的晚饭
香肠是她的朋友
从国内带来的
自我来柏林
已一年
我变得务实许多
不务实不行啊
样样都要花钱
匮乏
蔬菜少
肉多
布少
二手相机多
我只有自己
两只手
写东西
不怎么挣钱
我除了会花钱和写东西
可什么都不会呀
这可是资本主义国家
没有钱
分分钟睡大街呀
她和我差不多
她在找工作
这样的晚饭
我们都已心满意足
突然我在微博上看到一条视频
“【一个朝鲜女人的故事】”
‘我奶奶去世的时候不是想吃土豆吗,
可那些猪都可以吃的土豆,
为什么我们家就没有?
对我来说,
那个是来中国以后最大的打击……”
我不打算打开看了
有这么几句话就够了
无论那个受访者说什么
我都不打算打开看
朋友走后
我打开冰箱
看看今晚还剩下什么
并且感恩
有所悟,在产后
Divagations d’après l’accouchement
我不再喜欢安.兰德了
正是在她批判的人身上
我发现了那我不拥有的
小小的火苗
是啊,一条受伤的狗没有一个天才重要
但那又怎么样呢
我爱这条狗
不就行了吗
30/01/2016
Divagation d’après l’accouchement
Je n’aime plus les théoriciens
Au fil de leurs anthologies critiques sur le corps et la vie
J’ai découvert que j’étais dépourvue
De cette petite flamme intérieure
Eh oui, un chien blessé n’est peut-être pas d’une importance divine
Mais comment faire
Si j’aime ce pauvre chien
Est-ce que ce ne serait pas bien ?
30 janvier 2016
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : traduction de Nicolas Idier, 2016.
花瓶
Le vase
一个花瓶
立在院中
接雨水
此时
雨水越大越好
2016/1/30
Le vase
Une bassine
Au centre exact de la chambre d’hôpital
Pour recueillir l’eau de pluie
Moment présent
Plus l’averse tombera fort
Mieux ce sera
30 janvier 2016
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : traduction de Nicolas Idier, 2016.
Du Chou, des œufs à la tomate, de la saucisse
Et du riz
Ma nouvelle amie est venue à la maison à mon invitation
C’est notre dîner, ce soir
Et la saucisse est pour mon amie
Elle vient tout droit de Chine
Arrivée seule à Berlin
Il y a un an, déjà
Je donne tous mes soins à ce qui est essentiel
Rien de trop, pas d’excès
Rien n’est gratuit ici
Vie pauvre
Moins de légumes
Plus de viande
Aucune extravagance
Juste un appareil photo d’occasion
Je suis l’heureuse propriétaire de
Deux mains
Pour écrire
Et non plus pour dépenser
Je n’achète plus rien, il me faudrait écrire
Mais je n’y arrive pas
Dans ce pays capitaliste
Je n’ai plus qu’à m’en aller dormir dans la grand-rue
Elle et moi, on s’est trouvé
Elle est à la recherche d'un emploi
Avec un pareil dîner
Nous sommes vraiment comblées
Subitement, je tombe sur une vidéo d’internet
« [une Coréenne raconte son histoire] »
« Quand ma grand-mère est morte, elle n’avait donc pas même des patates à manger ?
Même les porcs mangeaient des patates,
Alors pourquoi notre famille en était-elle privée ?
Selon moi,
C’est le plus terrible coup que nous ait porté la Chine ...... »
Je n’ai pas envie d’en regarder davantage
Ces quelques phrases me suffisent
Peu importe ce que cette femme a continué à raconter
Je n’ai pas envie d’en regarder davantage
Quand mon amie s’en va
J'ouvre le réfrigérateur
Et regarde ce qu’il reste pour demain
En plus de mon immense gratitude
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : traduction de Nicolas Idier, 2016.
Biographie
Chun Sue, est née sous le nom Zou Na en 1983. Après s’être faite connaitre à l’âge de dix-sept ans avec un roman autobiographique, Beijing Doll, dans lequel elle décrivait sa vie de jeune Chinoise rebelle, Chun Sue n’a rien perdu de son esprit désabusé et rebelle. Considérée comme l’un des auteurs majeurs de la génération post-80, Chun Sue décrit dans sa poésie les rêves et les déceptions de la jeunesse perdue, les qualités et les défauts de l’individualisme, et transmet à ses lecteurs un peu du désarroi d’une génération de trentenaires, pris de court par le gigantisme d’une société qui les force au bonheur. Chun Sue vit à Berlin. Une sélection de ses poèmes a été publiée dans la revue Nunc, dossier “Pierres vivants de Chine” (2013).