Charles Le Quintrec
La route de la mer
La route de la mer avance sous les arbres
Et coupe à l’horizon l’église du hameau
Je pense à ce pays de Vannes, d’où s’échappe
L’enfant qui pousse le soleil dans un cerceau
Et je hante la haie où la loutre et la martre
Jouent à se mordre mieux, à changer de museau.
En ce temps-là, je fréquentais la communale
Et ramassais les pluies dans mon pauvre sarrau.
Dès que j’aimais, même l’amour me faisait mal
Et levait dans mon cœur plantes et passereaux.
Par les ouïes de la mer, roulée lame sur lame,
J’entendais monter la lune du fond des flots.
Mon frère dénichait les grives, les fauvettes,
Mes sœurs sauvages s’échappaient d’un fabliau
Moi je disais mon Dieu, pour le frapper peut-être,
Pour le trahir et le livrer à ses bourreaux
J’avais hâte de vivre à la hauteur des bêtes
Hâte aussi de répandre un juste sang nouveau.
Maintenant, sur la route où ne passe personne
La lune à l’agonie retourne son chaos
La mer mugit, le ciel échoue… Je manque l’homme
Et le cadavre du soleil, par un hublot
Vomit le jour et donne à l’insecte, à l’oiseau,
Pouvoir de parler sans connaître la Parole.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Les Noces de la terre, de Charles Le Quintrec, Grasset, 1957.
Biographie
Charles Le Quintrec (1926-2008) est un écrivain et poète français. Né à Plescop, dans le Morbihan, il passe son enfance dans cette Bretagne pauvre de l’intérieur. À 17 ans, tuberculeux, il part en sanatorium où il se réfugie dans la lecture. À vingt-deux ans, il correspond avec Hervé Bazin, qui l'encourage à venir s'installer à Paris. Après quelques mois dans une banque, il entre à Ouest-France, où restera quinze ans comme critique littéraire. Catholique et Breton il peuple sa foi de figures d’elfes et d’enchanteurs. En 2004, il publie une anthologie de ses œuvres poétiques, Terre océane. Dans la préface, il définit la poésie comme « un battement d'étoiles dans une nuit sans limite. » Source : bibliobs.nouveobs.com.