Eugène Guillevic
« Bien malin »
Bien malin qui dira
Laquelle des deux,
De l’eau,
De la lumière,
Joue au mystère.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Sphère suivi de Carnac, Eugène Guillevic, Poésie/Gallimard, Paris, 1998.
« Je te baptise » (extrait)
Je te baptise
Du goût de la pierre de Carnac.
Du goût de la bruyère et de la coquille d’escargot.
Du goût de l’humus un peu mouillé.
Je te baptise
Du goût de la bougie qui brûle,
Du goût du lait cru,
Du goût différent de plusieurs jeunes filles,
Du goût de la pomme verte et de la pomme très mûre.
Je te baptise
Du goût du fer qui commence à rouiller,
Du goût d’une bouche et d’une langue avides,
Du goût de la peau que tu n’as pas salée,
Du goût des bourgeons, des jeunes girolles.
… C’est sans effet sur toi, oui.
C’était pour moi.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Sphère suivi de Carnac, Eugène Guillevic, Poésie/Gallimard, Paris, 1998.

« Aussi bien que de pluie »
Aussi bien que de pluie
aussi bien que de ciel
Aussi que d'acier
de laine et de pitié
Aussi bien que d'aller
Aussi bien que de voir
Aussi bien que de joue
de lèvre et de cheveu
Aussi bien que de rire
de colérer, d'attendre
Aussi bien que d'en être
et d'apprendre de quoi
Aussi bien que d'errer
Quand c'est entrer qu'on veut
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Sphère suivi de Carnac, Eugène Guillevic, Poésie/Gallimard, Paris, 1998.
« En cet automne » (extrait)
En cet automne qui pourrit
Sous l'automne et la pluie,
Quand je m'en vais, marquant
La boue de mes souliers,
Sous un ciel dont je n'ai
Rien à dire qu'effroi,
Écrasant tant de feuilles
Qui vivaient comme moi,
M'en allant dans le vent
Qui va comme je vais,
Près des herbes tremblant
Plus que je n'ai tremblé,
Je vous sens, mes alliés
Qui n'avez pas visage
Ou le tenez caché.
N'aurons-nous pas ensemble
Un jour un rendez-vous
Durable et solennel
Comme est une clairière ?
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Sphère suivi de Carnac, Eugène Guillevic, Poésie/Gallimard, Paris, 1998.
« Ah oui ! »
Ah oui! le soleil!
C’est vrai
Qu’il y a quelque part
Le soleil.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Un brin d’herbe, Après tout, Eugène Guillevic, La part commune, Paris, 1977.
« Je regarde le ciel »
Je regarde le ciel,
Nuageux,
Gris, pas amical
Comme si j’espérais
Qu’il réponde à mon regard
Par quelque chose
Qui soit un regard.
-
Je sais, cela
Ne se produira pas
Et pourtant je persévère.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Accorder, Eugène Guillevic, Gallimard, Paris, 2013, p. 285.
« Non, ciel »
Non, ciel
Je ne suis pas à toi,
Bien plus à cette terre labourée
Où mes frères les hommes
Ne cessent de marquer
Notre liaison productrice
Avec ce qu’il nous faut
Pour vivre.
Toi, travaille, ton triomphe
N’est pas acquis.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Accorder, Eugène Guillevic, Gallimard, Paris, 2013, p. 285.
Biographie
Eugène Guillevic (1907- 1997) est un poète français. Son père, d'abord marin, se fait gendarme et l'emmène à Jeumont (Nord) en 1909, à Saint-Jean-Brévelay (Morbihan) en 1912, et à Ferrette (Haut-Rhin) en 1919. Après avoir passé un baccalauréat de mathématiques, il est reçu au concours de 1926 dans l'administration de l'Enregistrement (Alsace, Ardennes), puis est nommé en 1935 à Paris rédacteur principal à la Direction Générale au Ministère des Finances et des Affaires économiques. Il appartient de 1945 à 1947 aux Cabinets des ministres communistes François Billoux et Charles Tillon. Après l'éviction des ministres communistes, il réintègre l'Inspection générale de l'Économie où il s'occupe notamment d'études de conjoncture et d'aménagement du territoire, jusqu'à sa retraite en 1967. Dès l’avant guerre, il est l'ami de Jean Follain qui l'introduit dans le groupe Sagesse, puis appartient au groupe de l'École de Rochefort. Catholique pratiquant jusque vers trente ans, il devient sympathisant communiste au moment de la Guerre d'Espagne, adhère en 1942 au Parti communiste, se lie à Paul Éluard et participe aux publications de la presse clandestine (Pierre Seghers, Jean Lescure). Refusant la métaphysique, il choisit l'ici, qu'il explore passionnément. Sa poésie est concise, franche, rugueuse tout en demeurant suggestive. Guillevic a reçu le Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1976 et le grand Prix national de poésie en 1984. Source : wikipedia.