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André Velter

Le septième sommet –

Poèmes pour Chantal Mauduit (extrait)

Toi, et ton cri de joie au téléphone avant même de parler

    Toi, transfigurée à l’écoute d’un poème, essoufflée comme si tu venais de courir sur un tapis d’étoiles

    Toi, répétant l’oracle « c’est beau ! c’est beau ! c’est beau ! » avec cette voix d’enfance qui n’est pas une voix d’enfant

    Toi, la tête souvent à la renverse

    Toi, riant

    Toi, riant par-dessus toute rumeur

    Toi, riant d’un rire de source, d’un rire espiègle, d’un rire de bienheureuse espiègle, d’un rire de surprise et d’éveil

    Toi, que j’embrasse pour la première rue de Sommerard, puis dans la cour du musée de Cluny

    Toi, te conduisant très mal sur un banc du jardin du Luxembourg

    Toi, seule spectatrice, immobile dans l’ombre du théâtre Molière pendant trois heures de répétition

    Toi, lovée, le regard mauve

    Toi, riant du chahut d’une horde d’Anglais dans la chambre d’à côté

    Toi, riant de mes vanités d’homme trop occupé

    Toi, riant en prenant l’ascenseur

    Toi, te conduisant très mal sur la moleskine du Café Français

    Toi, seule spectatrice, immobile dans l’ombre du théâtre du Rond-Point pendant trois heures de répétition

    Toi, têtue, dents serrées, secouant tes cheveux

    Toi, virevoltant, mimant une jonglerie avec les feuilles d’automne et le vent

    Toi, dansant au bas des vignes de Montmartre, rue Saint-Vincent

    Toi, te conduisant très mal à l’arrière du scooter et m’empêchant de conduire

    Toi, bouche et ongles

    Toi, paroles fauves

    Toi, perdue dans la foule du théâtre des Cultures du Monde et t’enfuyant pour ne pas rompre la magie

    Toi, avec la grâce d’une gravité très douce évoquant le danger

    Toi, chuchotant le nom de tes amis morts

    Toi, caressant le caillou bleu semé d’une poussière d’or que je viens de t’offrir

    Toi, les yeux pleins de larmes à ton retour de Dharamsala

    Toi, en équilibre sur la rambarde de fer me repérant de loin en bondissant

    Toi, abandonnant tout et tous au milieu d’un repas quand j’appelle à l’improviste

    Toi, l’émerveillée qui émerveille

    Toi, l’impulsive à l’infinie tendresse

    Toi, l’irradiante qui s’offre paumes ouvertes au soleil

    Toi, t’étirant dix minutes au téléphone si je te réveille à midi

    Toi, et ce qui n’appartient qu’à nous

    Toi, riant à mon épaule

    Toi, riant de trois nuits sans sommeil

    Toi, riant dans un matin de pluie légère à Lisieux, et me disant : tu m’en fais voir du pays !

    Toi, te conduisant très mal sur une banquette de train, à l’aller comme au retour

    Toi, la plus pudique des impudiques, la plus conquérante des dépossédées

    Toi, passionnément démunie et distribuant partout le trésor des songes

    Toi, pleurant du fond de l’âme sur une épouvante qui me concerne seul

    Toi, pas à pas avec moi dans cette géhenne intime

    Toi, soignant les pires douleurs avec un peu d’azur récolté chez les dieux

    Toi, glissant une rose sous ton blouson, contre ta peau

    Toi, entrant à reculons sous le proche du faubourg Saint-Antoine en me jetant des brassées de baisers

    Toi, et l’écho de ton rire sous la voûte

    Toi, téléphonant des pentes du Dhaulagiri, la voix voilée par l’altitude

 

    Toi, m’envoyant encore des lettres des quatre coins du monde huit jours après ta mort

 

    Toi, léguant aux migrations de l’univers le chant de notre amour

Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie

Source : Le septième sommet, Poèmes pour Chantal Mauduit, André Velter, Gallimard, 1998.

Biographie

 

André Velter (né en 1945) est un poète, essayiste, chroniqueur et homme de radio français, qui se reconnaît qu’une seule qualité : celle de « voyageur ». En 1963, son début d’une écriture commune avec Serge Sautreau, est saluée par Alain Jouffroy comme « l’un des rares événements de la poésie écrite en langue française depuis 1945 ». Pendant une dizaine d’années, il publie, seul ou avec Serge Sautreau, des recueils chez Fata Morgana, Seghers, Christian Bourgois, avant que de longs séjours en Afghanistan et dans l’Himalaya n’influent de façon décisive sur sa vie et son écriture. La découverte de l’univers tibétain inspire son recueil Le Haut-Pays. Concevant la poésie comme l’accès privilégié à la « vraie vie », il multiplie les complicités et les confrontations avec les autres arts. André Velter partage alors son activité entre les voyages au long cours (Afghanistan, Inde, Népal, Tibet) et la mise en résonance des poésies du monde entier. Sur France Culture, il crée Poésie sur Parole (1987-2008) et anime Agora (de 1995 à 1998), Poésie Studio (de 1997 à 1999) et les Poétiques, enregistrées chaque mois en public au Théâtre du Rond-Point (de 1995 à 1999). Il dirige, chez Gallimard, la collection Poésie/Gallimard. Toute son œuvre poétique est vouée au souffle, à la révolte, à l'amour sauvage, à la jubilation physique et mentale. Résolument attaché à la « voix haute », il tente d'inventer une oralité nouvelle, créant régulièrement avec comédiens et musiciens de vastes polyphonies. Sources : wikipedia, andrevelter.com.

© 2016 par Présences à Frontenay. Créé avec Wix.com

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