Rémy de Gourmont
Les cheveux
Simone, il y a un grand mystère
Dans la forêt de tes cheveux.
Tu sens le foin, tu sens la pierre
Où des bêtes se sont posées ;
Tu sens le cuir, tu sens le blé,
Quand il vient d'être vanné ;
Tu sens le bois, tu sens le pain
Qu'on apporte le matin ;
Tu sens les fleurs qui ont poussé
Le long d'un mur abandonné ;
Tu sens la ronce, tu sens le lierre
Qui a été lavé par la pluie ;
Tu sens le jonc et la fougère
Qu'on fauche à la tombée de la nuit ;
Tu sens le houx, tu sens la mousse,
Tu sens l'herbe mourante et rousse
Qui s'égrène à l'ombre des haies ;
Tu sens l'ortie et le genêt,
Tu sens le trèfle, tu sens le lait ;
Tu sens le fenouil et l'anis ;
Tu sens les noix, tu sens les fruits
Qui sont bien mûrs et que l'on cueille ;
Tu sens le saule et le tilleul
Quand ils ont des fleurs plein les feuilles ;
Tu sens le miel, tu sens la vie
Qui se promène dans les prairies ;
Tu sens la terre et la rivière ;
Tu sens l'amour, tu sens le feu.
Simone, il y a un grand mystère
Dans la forêt de tes cheveux.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Simone, poèmes champêtres, Remy de Gourmont, Mercure de France, Paris, 1907.

L'aubépine
Simone, tes mains douces ont des égratignures,
Tu pleures, et moi je veux rire de l'aventure.
L'Aubépine défend son cœur et ses épaules,
Elle a promis sa chair à des baisers plus beaux.
Elle a mis son grand voile de songe et de prière,
Car elle communie avec toute la terre ;
Elle communie avec le soleil du matin,
Quand la ruche réveillée rêve de trèfle et de thym,
Avec les oiseaux bleus, les abeilles et les mouches,
Avec les gros bourdons qui sont tout en velours,
Avec les scarabées, les guêpes, les frelons blonds,
Avec les libellules, avec les papillons
Et tout ce qui a des ailes, avec les pollens
Qui dansent comme des pensées dans l'air et se promènent ;
Elle communie avec le soleil de midi,
Avec les nues, avec le vent, avec la pluie
Et tout ce qui passe, avec le soleil du soir
Rouge comme une rose et clair comme un miroir,
Avec la lune qui rit et avec la rosée,
Avec le Cygne, avec la Lyre, avec la Voie lactée ;
Elle a le front si blanc et son âme est si pure
Qu'elle s'adore elle-même en toute la nature.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : Simone, poèmes champêtres, Remy de Gourmont, Mercure de France, Paris, 1907.
La petite ville (extrait)
La petite ville est agréable à contempler. On la voit de partout et c'est toujours la même île de pierres accumulées émergeant d'une mer de verdure. D'entre les pierres il surgit quelques rocs sveltes et dentelés, ce sont les flèches de ses églises, jadis phares des âmes. De toutes ces pierres, à des heures, tombe la voix des cloches, l'air limpide se résout en musique, comme, l'hiver, l'air gris se fond en pluie. Les ondes se sont dispersées ; rassuré, le silence recommence sa promenade éternelle le long des rues mortes.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : La petite ville, Remy de Gourmont, Séquences, 2005.
Biographie
Rémy de Gourmont (1860-1915), est un poète et essayiste français. Il est né au château de la Motte, à Bazoches-en-Houlme (Orne). Il appartient à ces famille de peintres, graveurs et typographes, qui fleurirent vers la fin du XVe siècle ; c'est à l'un d'eux, Gilles de Gourmont, que l'on doit les premières éditions d'auteurs grecs et latins imprimées à Paris. Par sa mère, Remy de Gourmont se rattache directement à la famille du poète Malherbe. Venu à Paris en 1883, il entre à La Bibliothèque Nationale mais fut révoqué, quelques années après, pour avoir publié un article intitulé : le Joujou Patriotisme, qui affirmait la nécessité de l'accord franco-allemand. Dès lors, Remy de Gourmont se consacre exclusivement aux lettres. Il est un des fondateurs du Mercure de France, auquel il donne, tous les mois, sous le titre d'Épilogues, des notes d'un tour très personnel. Il collabore également au Journal de 1892 à 1894, puis à l'Écho de Paris, aux Essais d'Art libre, dont il est le directeur en 1894 s. Pierre de Bouchaud a donné de cet écrivain la définition suivante : « Cet écrivain apparaît vraiment comme le bénédictin laïque dont parlait Anatole France dans la préface du premier volume de sa vie littéraire. » Source : remydegourmont.org.