Ibn Al-Mou’tazz
Pluie
La pluie... Al-Matîrah, d'arbres et d'ombres semée...
Sur le couvent d'Abdoun tombe à verse la pluie...
Déjà m'ont réveillé pour la boisson de l'aube,
alors que les oiseaux étaient encore au nid,
les voix des moines orants à la robe de nuit
ouverte sur la peau, tout à leurs psalmodies.
Des hanches qu'enserre une ceinture, et la tête
auréolée d'une chevelure en couronne...
Parmi eux, que de beaux visages à l'œil baigné
d'un collyre magique, noir iris sous le voile !
Mon regard au désir a montré le chemin
et le sien est venu en préciser l'instant.
Il m'a rejoint, caché sous le manteau nocturne,
à pas pressés, craignant de se voir confondu.
Humble, j'ai disposé sur son chemin ma joue
traînant mes franges sur la trace de ses pas.
Au ciel le clair croissant a manqué nous trahir,
parcelle arrachée à ses ongles d'agate...
Eut lieu ce qui eut lieu, je n'en dirai pas plus :
à toi d'évaluer le bien que j'en reçus.
Présences à Frontenay 2016, Le sage et la pluie
Source : La poésie arabe, traduction René R. Khawan, édition Phébus, 2012
Biographie
Ibn Al-Mou’tazz (861-908) est un homme politique et poète arabe. Né dans la famille califale, il connaît une enfance marquée par les conspirations byzantines du califat abbasside : son grand-père est assassiné quand il n'a que six semaines et son père quand il a huit ans. Le garçon échappe à cette purge en se réfugiant à La Mecque avec sa grand-mère. À son retour à Bagdad, il connaît la vie hédoniste d'un jeune prince. C'est durant cette période qu'il écrit sa poésie et son étude Kitab al-Badi, consacrée aux formes de la poésie arabe. En 908, on le persuade d'endosser le rôle du calife après la mort prématurée de son cousin, espérant qu'il mette un terme aux intrigues. En vain : il ne réussit à gouverner qu'une seule journée et une seule nuit (il est ainsi connu sous le nom de « calife d'un jour »). Contraint de se cacher, il est rapidement retrouvé et étranglé. Source : wikipedia.