Andrèas Embirikos
Les saisons (extrait)
Pluvieux paysages d'automne, lorsque s'en vont les fleurs et leurs joies, que tombent soudain les feuilles, que les cris du plus haut de l'été peu à peu s'éteignent, sur les rivages et les plages où la vague, déferlante et douce, rafraîchissait les corps de ses écumes irisées, avant que décline la saison des mers toujours calmes, avant que s'efface le mois culminant de l'été.
Routes bitumées qui mènent aux villes d'hiver, à leurs avenues de pleurs et de meurtres atroces, pour l'honneur d'un frère, pour du vin versé, pour cela qui n'a pas de nom, que ne recouvre pas l'oubli, avec de blancs et noirs malheurs qui grincent aux poutres, comme la corde des pendus quand le vent agite les cadavres ballants — ces pendules énormes, irrécusables, du destin des grands mélancoliques.
Rude hiver qui vient comme un convoi ferroviaire, sous la voûte basse d'une épaisse nuée — express filant à toute allure vers un point où d'aucuns croient voir les roses lueurs d'un début éclatant, et d'autres une fin palpitant de toutes ses vapeurs.
Pourtant il n'existe point de fin définitive, pas plus qu'aucune loi absolue. Au cœur de l'hiver parfois le printemps fleurit, et au sommet de l'été on trouve un hiver.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Oktàna (1980), traduction de Michel Volkovitch.
Les saisons (extrait)
Par les douces journées de septembre, quand il ne pleut pas encore, que l'écoute des bruits est plus faible et le goût des heures plus fort qu'en été, que dans les jardins s'ouvrent les grenades, que vibrent les tiges des fleurs toutes droites, que les ibiscus flamboyants palpitent dans leur pourpre, tous pareils à des mariés pleins d'assurance qui frappent à l'huis de leur belle, alors, comme si c'était toujours l'été (car quelle que soit la saison, le désir est toujours estival), les âmes sont dans l'allégresse, et l'Amour, l'archange le plus blond du Paradis, s'exclame pour tous les corps qu'il touche :
Jette tout et dévêts-toi.
Oublie tout ce qui fait peur.
Printemps, hiver ou été —
en tous lieux et à toute heure —
mon épée vient avec toi.
Présences à Frontenay 2016, L'Oubli
Source : Oktàna (1980), traduction de Michel Volkovitch.
Biographie
Andrèas Embirìkos (1901-1975) est un poète et romancier grec, photographe et psychanalyste. Né à Brăila en Roumanie, sa famille s’installe en Grèce l’année suivante. Il suit des études de philosophie et de littérature anglaise à l’Université d’Athènes et au King's College de Londres. De 1926 à 1931 il s’installe à Paris où il fréquente les cercles surréalistes et s’exerce à la psychanalyse aux côtés du psychiatre René Laforgue, un des fondateurs de la Société psychanalytique de Paris. En 1931, il retourne définitivement en Grèce, où il travaille dans la société familiale, avant de démissionner pour se consacrer à la littérature et à la psychanalyse. Pendant l’Occupation, Embiríkos organise chez lui des réunions littéraires, où ses amis écrivains lisent des extraits de leurs textes. En tant qu’écrivain, il appartient à la génération de 1930 qui a porté le surréalisme grec. « Merveilleux Embirìkos, qui tournant le dos à la grisaille et la noirceur du monde, nous entraîne dans des jungles d'images, chantant à jet continu la beauté des corps et l'éternel retour du désir. » Volkovitch. Sources : volkovitch.com, Wikipedia.